Les dominicaines d’Estavayer-le-Lac participent à un projet présentant la célébration sur internet
Vu dans le quotidien "La Liberté" du 4 mars 2017
Célébration • Loin de vivre hors du temps, les onze soeurs du monastère dominicain d’Estavayer- le-Lac savent manier la souris d’ordinateur. Et elles le prouvent: quatre moniales participent à l’édition 2017 de Carême dans la ville, un projet mené depuis plus de vingt ans par un couvent de frères dominicains basé à Lille (France). Une grande première car la Suisse n’a jamais pris part à ce projet.
Le but? Proposer chaque jour une courte réflexion autour de la Bible durant la période de carême, lisible et audible gratuitement via un site internet ou une application smartphone. Ecrites par des dominicains du monde entier, ces observations sont aussi envoyées à 130 000 internautes abonnés jusqu’au 16 avril prochain.
Soeurs Anne-Sophie, Marie-Jean et Isabelle (de g. à d.) ont participé au projet Carême dans la ville avec soeur Marie-Christiane. Photo Vincent Murith
Le corps comme fil rouge
L’aventure numérique des soeurs a commencé en juin 2016. «Pour leur projet, les frères dominicains de Lille ont coutume d’intégrer un monastère de soeurs vivant cloîtrées. Ils nous ont encouragées à participer car nous fêtons nos 700 ans cette année. L’objectif était de composer les textes qui seront postés sur le site durant la troisième semaine de carême», raconte Soeur Anne-Sophie, sous-prieure du monastère.
Avec Soeurs Isabelle, Marie-Christiane et Marie-Jean, la dominicaine a donc rédigé six réflexions ayant pour thème le corps. «Il s’agit du fil rouge choisi cette année pour le projet. Nous nous sommes basées sur l’histoire de la Samaritaine, dans laquelle une femme rencontre Jésus au bord d’un puits», explique Soeur Anne-Sophie.
Les dominicaines se sont-elles senties sous pression en sachant que leurs textes allaient être lus ou écoutés par 130 000 internautes? Pas vraiment. «Ce n’est pas comme prêcher devant un stade rempli à ras bord», rient-elles.
Au monastère, les corrections des textes ont été aussi longues qu’exigeantes durant le mois de décembre. Les soeurs ont relu leurs réflexions avec l’aide de sept autres frères dominicains participant à l’action.
Si l’un vit à Genève, les autres sont venus du Canada, du Cameroun et de France pour quatre jours. «Le frère du couvent africain de Yaoundé est resté très silencieux, tandis que le doyen d’un institut parisien n’a pas épargné le texte de Soeur Anne-Sophie», taquine Soeur Isabelle. Et celle-ci de préciser que des petites vidéos ont été tournées au monastère afin de dynamiser le site internet du projet. Les dominicaines ont aussi enregistré des chants.
Un usage du numérique qui ne dérange pas Soeur Anne-Sophie. Selon elle, «tous les moyens sont bons» pour répandre la bonne parole. «L’Eglise a toujours utilisé les moyens de communication disponibles selon l’époque. Aujourd’hui, internet et les réseaux sociaux ont simplement remplacé les voies romaines qu’empruntaient les apôtres pour aller prêcher», sourit-elle.
Avalanche de prières
Alors que les dominicaines attendent que leurs textes soient postés sur le site de Carême dans la ville, elles ont déjà du pain sur la planche. Elles ont reçu une avalanche de demandes d’internautes. Ceux-ci leur demandent si elles peuvent prier pour eux-mêmes ou des proches. «Il s’agit de l’une des tâches liées au projet », explique Soeur Isabelle.
Les dominicaines répondront aussi aux commentaires des internautes selon leurs désirs. Mais à part cela, elles vivront la période de carême comme de coutume. Elles réduiront au maximum les contacts avec l’extérieur et mangeront frugalement les vendredis… en tentant de résister à l’appel du chocolat!
Lise-Marie Piller
Wi-fi à l’hôtel monastique
Les dominicaines staviacoises ont appris à utiliser Internet dont elles font un usage à la fois utilitaire et restrictif.
«Nous avons peut-être mis plus de temps que d’autres à empoigner cette nouvelle technologie», estime Soeur Anne-Sophie, sous-prieure du monastère d’Estavayer- le-Lac. Celle-ci évoque les courriels, pratiques pour réserver des chambres de l’hôtellerie monastique La Source. «Ce support nous permet aussi d’échanger des informations avec d’autres couvents. Cela prend moins de temps et d’argent par rapport à l’envoi de lettres», poursuit Soeur Anne-Sophie, qui gère l’adresse mail des dominicaines. Celle-ci précise qu’il existe aussi un site internet, géré par une autre soeur. «En cas de problème, un ami peut venir nous donner un coup de main», ajoute-t-elle. Concernant leur usage personnel, les soeurs regardent les mails envoyés par des proches ou la famille mais évitent de trop surfer sur le Net. «Aucune d’entre nous n’est inscrite sur les réseaux sociaux tels que Facebook, car ce genre de plate-forme encourage des réponses immédiates et peut générer une dépendance. Or si nous avons choisi de nous retirer de la société, ce n’est pas pour passer toute notre journée sur un ordinateur », indique Soeur Anne-Sophie, qui ajoute que le monastère n’a pas de wi-fi, au contraire de La Source.
Chaque soeur garde néanmoins un téléphone portable sur elle. Un objet destiné aux appels internes, qui permet aux dominicaines de se parler sans devoir se chercher dans les couloirs. Pour les appels externes, le téléphone fixe du monastère est d’usage. LMP
Un projet parti de France
C’est en 2003 qu’est né le projet Carême dans la ville, dans un couvent de dominicains à Lille (F). «L’idée était de fournir des réflexions bibliques pour le carême. Un frère informaticien a eu l’idée de mettre les textes sur internet», explique Frère Benoît Ente, qui pilote le projet. Aujourd’hui, plus de 130000 internautes reçoivent ces réflexions quotidiennes. Il s’agit principalement de francophones âgés de 60 ans en moyenne, avec 2,4% de visites suisses. «Nous voudrions intéresser plus de jeunes. C’est pourquoi nous avons tourné un film d’annonce sur le modèle d’un clip où l’on voit un boxeur lutter contre lui-même», précise le frère. Composée d’une quinzaine de personnes (dont des laïcs et des bénévoles), l’équipe de Carême dans la ville s’autofinance avec des dons. LMP
Trois questions à François-Xavier Amherdt
En quoi consiste le carême?
Le carême commence le mercredi des cendres et dure quarante jours, jusqu’au samedi avant Pâques, car on ne compte pas les dimanches. Cette période est destinée à préparer la fête de la Résurrection du Christ en respectant trois principes: le jeûne, la prière et le partage.
Comment la célébration a-t-elle évolué au fil des siècles?
Dans les premiers siècles, le carême était surtout le temps ultime de préparation des catéchumènes au baptême et à la confirmation. La notion de privation était alors très stricte. Aujourd’hui, les gens jeûnent plutôt par choix. Certains se passent d’alcool et de dessert, tout en remplaçant la viande par du poisson, du fromage ou des oeufs les vendredis. L’Eglise met aussi davantage l’accent sur le partage, avec des récoltes de fonds pour des projets solidaires.
Que pensez-vous du carême à l’ère 2.0?
Je trouve très positives les offres sur internet et sur les réseaux sociaux, car elles permettent à un bon nombre de personnes empêchées de se rendre à l’église ou dans un monastère de vivre une retraite chez elles. Outre Carême dans la ville, il existe d’autres offres similaires, telles que les réflexions proposées sur internet par la congrégation religieuse des Carmes à Paris. Il ne s’agit pas d’une concurrence pour les rendez-vous dans les monastères, mais plutôt d’une diversification de l’offre.
Propos recueillis par LMP