"Je n'ai pas peur du diable"
La plupart d'entre vous ont certainement vu le film "L'exorciste". Mais en quoi consiste exactement le "Service de libération spirituelle et d'exorcisme" ? Eclairage avec l'abbé Romain Gajo, prêtre à Porrentruy au sein de l'Unité pastorale des Sources. En 2014, Mgr Felix Gmür l'a mandaté pour être l'exorciste de la partie francophone du diocèse de Bâle.
Abbé Gajo, avez-vous vu le film "L'exorciste" et… procédez-vous ainsi ?
(Il rit) Oui, je l'ai vu, et encore d'autres, qui ont suivi. Mais ce n'est pas mon pain quotidien. Dans ces films-là, on mise sur le fantastique et le sensationnel; ce sont surtout des films d'horreur. Dans l'exorcisme, il s'agit avant tout d'essayer de chasser un mal-être spirituel; à différents degrés. Des phénomènes de lévitation, de crachats de clous, oui, cela peut arriver, mais je n'en ai encore jamais vu.
Que doit faire une personne qui se croit "possédée"?
Très vite, dès qu'une personne ne fonctionne plus comme avant ou qu'elle est très mal dans sa peau, on aboutit à ce terme: "possédé". Et, se croyant possédé, on se dédouane d'une certaine responsabilité. On éprouve un profond mal-être, mais on n'y peut rien puisqu'on est, croit-on, "infesté". La première des choses à faire, quand on se sent mal spirituellement, ce serait d'aller voir le prêtre de sa paroisse. Or, ce que je constate bien souvent, c'est que la personne qui ne va pas bien va voir des marabouts, des diseuses de bonne aventure, des chasseurs d'âmes et, en dernier sur la liste, il y a le prêtre. Une fois qu'on s'est contaminé l'esprit et qu'on a vidé son portemonnaie, il y a le prêtre, dans toute sa gratuité. C'est à lui qu'il faudrait pourtant s'adresser en premier. Tenu à la confidentialité, il peut accueillir la confession et peut administrer le sacrement de réconciliation, ou de pénitence, comme on disait autrefois. Bien souvent, le mal ou le Malin agit sur nos ruptures et nos sentiments de culpabilité.
Quelle différence entre le travail d'un psychiatre et celui d'un exorciste ?
C'est toujours délicat car la frontière peut être très ténue. Face à des personnes en proie à un profond mal-être d'ordre psychologique ou psychopathologique, un thérapeute ou un médecin pourra poser un diagnostic. S'ensuivra probablement un traitement médicamenteux pouvant occasionner des effets secondaires, certains d'ordre hallucinatoire. C'est donc très difficile de séparer le psychopathologique du spirituel. Le travail du prêtre-exorciste est aussi d'apporter des études de cas dans un groupe plus large au sein duquel sont également présents des psychiatres Et là, on essaie de différencier: qu'est-ce qui est plutôt de l'ordre du psychopathologique ou du psychiatrique et qu'est-ce qui est purement spirituel? Cela demande un accompagnement de la personne en souffrance et une reconnaissance des limites de compétences de chacun. De plus en plus, nous travaillons en réseau; des psychiatres redirigent des patients vers des exorcistes et inversement.
Y a-t-il des signes authentifiés de possession diabolique ?
Oui, tout à fait. C'est par exemple quelqu'un qu'on ne peut pas faire rentrer dans une église; quelqu'un qui, à la vue d'une croix, se met à crier ou à réagir violemment. Ou alors une personne qui commence à avoir une sorte de pouvoir de révélation lui faisant dire des choses qu'elle ne serait pas censée connaître. Ou quelqu'un hors de soi au contact de symboles sacrés, qui a l'air d'être brûlé par de l'eau bénite ou qui se met à parler dans une langue ancienne qu'il n'aurait pas dû savoir. Ce sont là des signes pragmatiques pouvant révéler un mal-être spirituel, un tourment, voire encore une possession.
Sont-ils fréquents, ces cas de "possession" avérés ?
Non. Le domaine de l'exorcisme recouvre – à différents degrés - tout l'aspect de la libération spirituelle, l'exorcisme étant, sur une échelle de 1 à 10, à la 10e position. Statistiquement, environ 10 à 15% seulement des personnes qu'on reçoit sont véritablement possédées. Pour la majorité, on a affaire à d'autres tourments ne relevant pas de l'exorcisme effectif.
Y aurait-il des comportements à risques?
Bien des gens dans la détresse attendent un coup de baguette magique; on est dans la génération Harry Potter ! On veut de la personne qu'on va consulter qu'elle nous donne des pistes et dirige notre vie. Ces "directeurs spirituels" vont faire alors ce que ne feront justement pas les prêtres-accompagnateurs: ils vont se faire payer, généralement grassement, et vont orienter la personne vers une dimension ésotérique pouvant s'avérer dangereuse. On risque la rupture spirituelle et l'ouverture à quelque chose qui ne serait plus de l'ordre des saints ou de l'ordre du Christ, mais qui permettrait à des entités de s'immiscer, de créer des fractures spirituelles et, au pire, de posséder la personne.
Existe-t-il des moyens, à notre disposition, pour nous protéger d'une infestation ?
L'un des meilleurs moyens c'est la prière, la méditation, la fréquentation des sacrements, la foi en Dieu, la confiance. C'est croire que Dieu veut notre bien et que c'est à chacun de nous de gouverner sa propre vie. Et, même si l'on a été déçu par la foi, l'Eglise ou des prêtres, ne pas se diriger vers des sectes, qui vont vouloir remplir ce vide, ou vers des "purificateurs d'âmes", qui ne nous mèneront en tout cas pas vers une pratique religieuse telle que la proposent le Christ et l'Eglise.
Romain Gajo, avez-vous peur du diable ?
Non. Le diable, c'est celui qui veut diviser. Ce qui me fait peur, c'est d'être séparé de ce que j'aime, de ma foi, de moi-même. Je travaille tous les jours sur cela; j'ai des prières de protection et je reste profondément uni au Christ dans ma foi. Mais un prêtre-exorciste peut aussi être attaqué et devenir à son tour victime de ces ruptures. Je consulte moi-même un Père spirituel. C'est cela qui me fait peur et non le Diable, la Bête à cornes à la queue fourchue, comme dans l'imagerie populaire…
Propos recueillis par Christiane Elmer
L'abbé Romain Gajo a aussi fait l'objet d'un article dans les journaux du groupe Arc Presse (L'Express, L'Impartial, Le Journal du Jura) à lire ICI !