Lettre pastorale de Mgr Felix Gmür Évêque de Bâle pour le 3ème dimanche du temps ordinaire 21 janvier 2024
Chers frères et soeurs en Jésus Christ,
En rédigeant cette lettre pastorale, les nombreuses préoccupations et inquiétudes que vous avez exprimées de diverses manières, jusqu’à aujourd’hui, me traversent l’esprit. Plus encore, des rencontres défilent devant mes yeux, des entretiens au cours desquels vous avez exprimé des souhaits, des suggestions, des attentes, des réactions critiques, de l’incompréhension et aussi de la colère. Depuis la publication du rap-port du projet pilote sur les abus sexuels dans le contexte de l’Église, les réactions ont encore nettement augmenté. Je profite de cette occasion pour vous remercier encore une fois de vos multiples suggestions. Pour pouvoir vous com-prendre le mieux possible, il m’incombe d’écouter, toujours à nouveau, ce qui vous préoccupe.
L’opinion majoritaire est : l’institution de l’Église ne peut pas continuer ainsi. Je partage ce point de vue. Nous avons besoin d’un changement. Dans le langage de la bible, cela s’appelle la con-version. Notre communauté ecclésiale a besoin de conversion et de repentir, tout comme les habitants de Ninive, auxquels la première lecture de ce jour fait référence. Ceux-ci ont reconnu qu’un nouveau départ radical était nécessaire, qu’il fallait se tourner vers Dieu. Ils se sont repentis et ont fait l’expérience de l’attention de Dieu.
Cependant, Ninive ne nous fournit pas de recette concrète pour un nouveau départ. C’est nous qui avons la responsabilité d’agir, ici et maintenant. Mais les esprits sont divisés lorsqu’il s’agit de savoir à quoi peut ressembler un renouveau synodal de l’Église et comment, à ce sujet, les différentes personnes, avec leurs responsabilités propres, peuvent se comporter. L’éventail des opinions est large, encore plus large que ce que les médias nous présentent. Mais je suis ferme-ment convaincu, sur la base des expériences de ces derniers mois, qu’il est possible, dans ce processus, de grandir et d’aller plus loin, en tant que chrétiennes et chrétiens et surtout en tant que communauté. Les discussions synodales dans le diocèse, et lors du synode des évêques à Rome, me touchent, car je remarque que notre force réside dans ce que nous avons en commun. Le respect mutuel, qui reconnaît la bonne volonté de l’autre et permet des discussions sincères, témoigne de cette force. Ceux qui, ensemble, brûlent pour une Église synodale et qui cherchent de bonnes formes de vie de foi, ce sont eux qui rayonnent et qui attirent. Mais dans cette diversité, où trouver le dénominateur commun, où est le point d’ancrage ?
L’évangile de ce jour ne nous fournit pas non plus de solution. Je vois cependant, dans les paroles de Jésus, des indications montrant sur quelles bases repose toute conversion authentique. Pour saisir ces indices, revenons brièvement aux habitants de Ninive. L’appel au repentir de Jonas, et l’action en retour des gens de Ninive, étaient motivés par la reconnaissance de l’échec et de la culpabilité. L’échec de l’institution, qu’est l’Église, apparaît clairement avec les abus de pouvoir et les violences sexuelles qui ont causé des souffrances indicibles. Ce constat appelle à la conversion. Le retournement vers Dieu, dont parle Jonas, implique de se tourner vers les hommes, en particulier de se soucier des personnes concernées.
Passons maintenant à l’évangile : ici, l’appel à la conversion de Jésus se fonde sur l’annonce du règne salvifique de Dieu. « Le règne de Dieu est tout proche », dit Jésus qui ajoute : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » L’expérience du règne de Dieu, la foi solide que Dieu agit dans notre vie, précèdent la conversion, voire motivent la conversion. Celle-ci ne se focalise pas en premier lieu sur l’échec, comme chez Jonas, mais la conversion a, chez Jésus, un but vers le-quel les croyants s’orientent : le règne de Dieu.
Où est le point d’ancrage ? Je le vois dans l’expérience de l’action de Dieu et de sa puissance dans nos vies. De cela, chaque croyant et croyante peut en témoigner. C’est la foi et l’espoir placés dans le bien, en Jésus-Christ, en son message qui nous unit. C’est la forte attente que ce message soit diffusé, par des personnes dans l’Église et par tout ce qui constitue la vie de l’Église, et que ce message puisse être diffusé de telle sorte qu’il parvienne effectivement aux gens. Tous les engagés en Église ont en commun, quelles que soient leurs histoires de foi, d’avoir déjà fait concrètement l’expérience de l’action de Dieu, à travers les paroles et les actes d’autres personnes, dans le cadre de l’Église.
Les entretiens que j’ai eus ces derniers mois avec des personnes du diocèse, ainsi qu’au synode de Rome, m’ont confirmé que des voies prometteuses s’ouvrent là où se rejoignent les deux motivations à la conversion, évoquées dans les lectures de ce jour. Une conversion par repentir sincère, grâce à un état des lieux sans complaisance et grâce à la clairvoyance, comme chez Jonas ; et une conversion fondée sur l’expérience que le bien est possible, malgré toutes les adversités, parce que nous ne sommes pas seuls, parce que la volonté de Dieu, qui veut notre bien, précède tous nos efforts.
Une Église synodale se fonde sur la confiance en Dieu et en l’homme, mais aussi en l’Église. Car, malgré toutes les limites de l’institution, l’Église c’est nous tous. Car l’Église est la communauté de tous les croyants qui espèrent en l’aide de Dieu, qui partagent la vie et qui, comme Jésus, sont attentifs et compatissants envers leur prochain. L’engagement en tant que chrétien rend visible quelque chose du règne de Dieu. Ce n’est pas parfait, mais c’est déjà perceptible en de nombreux endroits de notre Église et chez de nombreuses personnes.
Je vous remercie, chers frères et soeurs dans la foi, pour votre confiance en cette période. Je vous remercie de votre esprit critique, de vos engagements variés, de votre participation à la réflexion, de votre patience et de vos prières pour que le Saint-Esprit balaie notre Église avec un vent frais et la bouscule pour le meilleur.
+ Felix Gmür, Évêque de Bâle