Dans certains villages du sud-est du Portugal, la pénurie de curés catholiques pousse plusieurs femmes, simples croyantes, à célébrer elles-mêmes les offices du dimanche pour animer la vie religieuse de ces communautés vieillissantes, mais ouvertes au changement.
Silvia Campos brandit l'hostie lors d'un office à Motrinios, au Portugal, le 18 février 2017 (photo Patricia de Melo Moreira / AFP)
Dans la minuscule église de Carrapatelo, hameau d'une quarantaine de maisons perché sur une colline qui surplombe les vignobles de la région de Reguengos de Monsaraz, Claudia Rocha, en robe noire et baskets, s'adresse à une douzaine de fidèles, des femmes âgées pour la plupart.
Son blouson en cuir et son smartphone posés sur un banc au premier rang, la jeune femme de 31 ans conduit avec aise cette « assemblée dominicale en l'absence du prêtre ». Après les prières et les chants liturgiques, elle commente elle-même les lectures bibliques du jour, tel un prêche.
A la fin de la cérémonie, elle distribue la communion, comme à la messe, à la différence que les hosties qu'elle brandit entre le pouce et l'index ont été préalablement consacrées par le curé, et qu'elle ne boit pas le vin représentant le sang du Christ.
« Si je n'étais pas là aujourd'hui, cette église serait fermée. Peu importe si je suis femme, diacre ou prêtre. Ce qui compte, c'est d'avoir quelqu'un qui appartient à cette communauté et qui préserve son lien avec le curé, même quand il n'est pas là », explique-t-elle à l'AFP.
Claudia Rocha dirige la cérémonie religieuse dans l'église de Carrapatelo au Portugal, le 18 février 2017 (Photo Patricia de Melo Moreira / AFP)
Rien inventé
Cette assistante sociale, divorcée sans enfant, fait partie du groupe de seize laïcs, huit hommes et huit femmes, choisis par le père Manuel José Marques pour l'aider à conserver une présence régulière de l'Eglise dans les sept paroisses à sa charge.
« Cela peut paraître étrange et nouveau, mais nous n'avons rien inventé. Il s'agit d'un outil prévu par les orientations de l'Eglise depuis longtemps, pour les cas où c'est absolument nécessaire », souligne ce prêtre de 57 ans.
De telles célébrations sans ministre ordonné, appelées « ADAP » par l'Eglise catholique pour « Assemblées dominicales en l'absence de prêtre », ont en effet cours dans divers pays, de l'Allemagne à la France en passant par la Suisse, le Portugal, les Pays-Bas, les Etats-Unis, le Canada... La pratique est née dans les années 1980, faute de prêtres.
Le Vatican et de nombreux ecclésiastiques refusent toutefois d'encourager ces ADAP, par crainte d'une banalisation de la messe.
Le père Manuel José n'a, lui, pas eu d'état d'âme. A Reguengos de Monsaraz, commune de la région de l'Alentejo située entre la ville d'Evora et la frontière avec l'Espagne, la nécessité d'organiser de telles assemblées dominicales s'est imposée il y a une douzaine d'années déjà, dit-il, quand il s'est retrouvé seul avec un diacre pour s'occuper de sept paroisses, là où ils étaient trois prêtres auparavant.
Il s'est entouré de seize croyants bénévoles, âgés de 24 à 65 ans, aux métiers très variés. « Ce sont des gens qui ont fait l'expérience de la foi et de la rencontre avec le Christ, et qui savent en parler », résume-t-il en précisant qu'il n'y a « aucune distinction » entre les hommes et les femmes.
Le recours à des femmes laïques existe également dans d'autres régions rurales du Portugal, pays de dix millions d'habitants dont 88% de catholiques, selon les estimations de l'Eglise, et qui ne compte qu'environ 3.500 prêtres pour 4.400 paroisses.
Sujet délicat
En août dernier, le pape François a constitué une commission d'étude sur le rôle des femmes diacres au début du christianisme. Et s'il a démenti avoir « ouvert la voie aux diaconesses », sa démarche reste perçue comme un geste d'ouverture potentiellement historique sur la place des femmes au sein de l'Eglise.
« C'est un sujet très délicat, mais nous avons fait au plus simple. Dans ce tout petit village, nous avons beaucoup d'avance sur le Vatican », estime Claudia Rocha en quittant l'église de Carrapatelo.
Progressiste, le père Manuel José considère que « les femmes feraient de très bons prêtres ou diacres ». Cependant, prévient-il, « ce n'est pas l'opinion d'un curé, ou même de dix curés, qui fait la théologie ».
« Nous vivons au sein d'une communauté ouverte, où la différence entre hommes et femmes n'est plus aussi marquée que par le passé », dit Dora Cruz, catéchiste qui officie à Campinho, bourgade de 700 habitants. « Mais l'égalité des femmes ne passe pas forcément par le sacerdoce », tempère toutefois cette mère de famille de 31 ans, éducatrice de jeunes enfants.
Les paroissiens, eux, approuvent la présence d'une femme derrière l'autel. « Au début on a trouvé ça étrange : une femme qui dit la messe ? Mais maintenant on est habitué », raconte Angélica Vital, ouvrière à la retraite âgée de 78 ans.
« Et s'il manque des prêtres, je pense qu'ils devraient pouvoir se marier car ce sont des hommes comme les autres ! », s'exclame-t-elle avec un sourire taquin.
AFP / 11 avril 2017