Le Père Laurent Lemoine, théologien et psychanalyste aborde la question du dialogue entre la foi et la psychanalyse. Il nous a accordés une brève interview avant de donner sa conférence à la Collégiale de Saint-Ursanne dans le cadre du Jubilé du 1400e. Un thème complexe que cet enseignant à l'université catholique d'Angers aborde avec clarté.
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Le Père dominicain Laurent Lemoine a suscité un vif intérêt lors de sa conférence du 31 janvier dans la Collégiale de Saint-Ursanne, cité médiévale du Clos du Doubs, qui a réuni un vaste public .
Autant le dire tout de suite, contrairement à une idée reçue et largement véhiculée, on ne va pas forcément perdre la foi et divorcer en suivant une psychanalyse… « Vous êtes venus ici, a commencé le Père Lemoine, pour entendre parler de deux modes de vie et de pensée en plein déclin : l’Eglise catholique et la psychanalyse. » Cette dernière, à l’heure où abondent les thérapies courtes et comportementalistes, plutôt rattachées aux neurosciences, fait un peu figure de vieille dame désuète… « La psychanalyse n’a plus pignon sur rue, contrairement au développement personnel, aux thèmes en lien avec la santé, la nutrition, et la méditation. Du côté de la religion, après un vaste mouvement de déchristianisation, le religieux a fait un retour en force, comme l’annonçait André Malraux dans son fameux : Le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas ».
Enregistrement audio de la conférence à Saint-Ursanne
Expériences et contenus
Un retour du religieux ? Sans doute, mais avec un épicentre déplacé vers le Sud pour l’Eglise catholique, et, plus largement, l’émergence terrifiante d’un religieux fanatisé. « On recourt aux psychanalystes pour déradicaliser des extrémistes religieux, pour démilitariser le religieux. » Mais revenons-en à la psychanalyse. Freud, juif et athée, s’est passionné toute sa vie pour la religion, vectrice selon lui de névroses. Mais, voilà… « Freud a mis Dieu à la porte et Il revient par la fenêtre ! ». Le Père Lemoine a expliqué que de plus en plus de patients croyants entreprennent une psychanalyse. « Mais attention, tant qu’on oppose l’analyse et la foi, tant qu’on confronte les contenus, on n’a aucune chance de saisir le dialogue qui s’instaure entre foi et psychanalyse. » Car c’est vraiment autour des expériences que se tisse ce dialogue. Très ressemblantes, psychanalyse et foi chrétienne sont deux expériences présentant beaucoup d’analogies, mais clairement distinctes.
« Dieu est mort pour moi »
Que comprenez-vous dans cette phrase ? Derrière les mêmes mots, deux expériences différentes se révèlent : celle de qui se dit athée, pour qui le nom de Dieu ne fait pas sens ; et celle de qui croit au salut par la Croix. « La psychanalyse est une sorte d’accompagnement spirituel, comme dans un parloir. On y va pour parler de soi. Le propre du psychanalyste, c’est la cure du psychisme ; et celui du prêtre, celle des âmes. Mais on va généralement consulter plus souvent son psychanalyste que son curé ! »
La figure du père est la clé de voûte de L’Eglise psychanalytique a précisé le théologien. Ce qui nous renvoie évidemment au Père des Ecritures. Pour Freud, le judaïsme est la religion du père et le christianisme celle du fils. Le Père Lemoine a ajouté que des enfants maltraités ne parviennent pas à dire les mots « Notre Père » en priant. « La psychanalyse dit à la foi qu’on ne prononce pas n’importe comment le nom du père et permet de démasquer les contrefaçons du croire. »
Expérience relationnelle avant tout
La psychanalyse est une forme de mystique. Laurent Lemoine précise que l’expérience des grands saints est toujours une expérience mystique, ouverte à tous. « La vie mystique proposée par le Christ est un chemin menant à Dieu. C’est une expérience où l’on meurt à soi-même pour s’ouvrir à tous. On meurt au mal, au péché. Le baptême, la vie spirituelle, c’est l’expérience de Pâques ».
Et la psychanalyse ? Là aussi, au fil d’une analyse, on meurt. « A l’imaginaire, à l’artifice. On meurt pour renaître et on réaménage sa vie psychique pour pouvoir avancer dans la vie. » Les points communs entre psychanalyse et vie chrétienne, c’est qu’on y vit l’expérience de la mort et celle d’une vie nouvelle. Alors, la guérison, point commun ? Non. Plutôt un accès à la Vérité ou à la vérité sur soi. Dans la vie spirituelle, tout comme en psychanalyse, notre première tâche ne consiste-t-elle pas à démystifier l’illusion ? « Celle d’une vie qui se croit maîtresse d’elle-même ».
En conclusion, la psychanalyse – qui n’est donc pas une psychothérapie – est avant tout une démarche de vérité sur soi au cours de laquelle nous sommes conviés à retrouver l’accès à notre désir, à ce qui va nous motiver et nous réorienter. « En tant que prêtre et psychanalyste, ce qui m’inquiète, c’est la toute-puissance. Toute relation qui n’est pas égale peut susciter un abus. » Parmi les ouvrages qu’il a écrits, et notamment « Quoi de neuf docteur – La psychanalyse au fil du religieux », le Père Laurent Lemoine a également publié, toujours aux Editions Salvator, un livre consacré à l’abus : « Désabuser – Se libérer des abus spirituels ».
Christiane Elmer