Par Didier Berret
Roulement de tambour, sonnerie du cor. Le crieur public se poste au beau milieu de l’agora avec une solennité d’autant plus grave qu’il ne se déplace jamais à la légère. Il sort pour déclamer les actes de la feuille officielle. La foule cesse toute affaire urgente et accourt, ne sachant ce qui l’attend: mobilisation générale? Nouvelle hausse des taxes? Décès du roi?
«Oyez, oyez! L’an 15 de l’empereur Tibère…» chacun retient son souffle et tremble devant l’illustre galerie des portraits énoncés: on n’égrène jamais tous ces nobles noms pour des prunes. Sept en suivant puis un. Le gratin politico-religieux d’un côté, dans son défilé de tiares, de titres et de parfums d’encens et un pauvre type à l’odeur de chameau de l’autre. Ça ressemblerait à une farce si entre les deux l’axe vertical de la balance n’avait pour nom: parole de Dieu.
Dans sa brillante mise en scène, l’évangéliste poste les Immobiles comme des statues sur leurs trônes et quitte leur théâtre de marionnettes pour filer la trace du premier qui se met en route. «Jean parcourt toute la région du Jourdain…» Il y a donc Rome, la capitale de l’Empire à un bout, l’étalage d’une partie de ses propriétés au milieu et un désert quelconque à l’autre bout.
« Jean ne joue pas au perroquet, mais souffle sur la braise, ressuscite Isaïe, révèle sa saveur enfouie sous les sables. »
Un peu comme si, pour sortir du marasme institutionnel ambiant, il fallait semer quelque chose d’inédit ailleurs, dans un endroit inattendu. Rien de tel qu’un désert pour planter un nouveau décor. La frugalité des lieux offre la vertu du dépouillement. Médailles, froufrous et mondanités pâlissent de ridicule devant la vérité du désert. La seule piste viable, dans cet espace austère ne mène pas à Rome comme tous les chemins du monde, mais à l’être. Même Jésus inaugure son ministère dans ces paysages arides.