«Il y a quatre ans, je n'avais ni smartphone, ni de compte Instagram», rappelle le dominicain dont la chaîne Youtube compte plus de 160'000 abonnés | © Bernard Hallet
De passage au festival OpenSky, en Valais, le frère youtubeur Paul Adrien a répondu à cath.ch à propos de son ministère digital. Le dominicain français qui compte plus de 160’000 abonnés à sa chaîne YouTube, estime que l’Église ne doit pas hésiter à réinvestir la culture populaire pour évangéliser et parler un langage simple pour rejoindre notamment les jeunes dans leur réalité.
Le frère Adrien, âgé de 32 ans, l’a dit lors de son intervention au festival OpenSky: un smartphone et un compte Instagram suffisent pour commencer à Evangéliser avec un message simple. Le web est selon lui une bonne opportunité pour l’Eglise de parler de sujets aussi sensibles que la politique, la sexualité ou la messe tridentine. A condition d’être à l’écoute des gens et de les accompagner.
Pourquoi avoir lancé votre chaîne Youtube?
A l’époque, en novembre 2022, J’ai pensé à Youtube parce que je ne connaissais ni TikTok, ni Instagram. A l’origine cela m’amusait et je ne voulais pas faire une chaîne avec des milliers de vues, mais juste poster deux ou trois vidéos. Je n’avais pas de plan. Je me suis aperçu que 10 personnes, puis 15, 20, etc. regardaient mes vidéos. j’ai donc continué et puis l’audience a explosé. D’une certaine manière, je me suis retrouvé là un peu par hasard. Il y a quatre ans, je n’avais ni téléphone portable, ni de compte Instagram.
Quels sont les sujets de vos vidéos?
A l’origine, il y a eu un format «théologie et popcorns» pour parler de cinéma et de l’analyse théologique des films et un deuxième format «Jeûne et joli», un jeu de mots sur le titre d’une ancien magazine de mode français, dont le contenu visait à parler de sujets de société abordés d’un point de vue chrétien avec de l’analyse de la culture populaire. Au fur et à mesure, on a élargi à d’autres formats: de la catéchèse, des sujets compliqués, délicats, de la sexualité, de l’analyse de films, des formats courts et des vlogs (reportage réalisé à la première personne, ndlr). On a même proposé un concours de tatouages!
«Il y a quatre ans, je n’avais ni téléphone portable, ni de compte Instagram.»
Avez-vous une ligne éditoriale?
La ligne initiale qui était de capter un public de 18 – 35 ans n’a pas bougé. On a beaucoup évolué, mais j’espère que le ton de la chaîne est resté le même. C’est assez classique sur le fond, mais assez décalé sur la forme pour un catholique. Quelqu’un qui n’est pas issu de l’Église trouvera les contenus assez normaux.
Concrètement, comment travaillez-vous sur le fond et sur la forme?
Au début, je travaillais seul. Au fur et à mesure que l’audience a progressé, je suis devenu plus exigeant pour ce que je produisais: je n’écris ni ne filme plus comme il y a deux ans. Au fur et à mesure des expériences, j’ai affuté mon regard de vidéaste et cela m’a demandé de plus en plus de temps. J’ai fini par m’entourer d’une petite équipe. Pour produire les vidéos, trois personnes m’aident à scripter (écrire, ndlr), pour les tournage et montage. Frère Marc, mon prieur, relit les contenus pour m’éviter des erreurs théologiques et m’oriente dans mes choix éditoriaux. Une amie gère le ‘community management’ (modération de réseaux sociaux, ndlr). Une vidéo de 10 minutes équivaut à 30 heures de travail. Je dois faire des semaines de 45 – 50 heures. Youtube représente la moitié de notre temps de travail. J’y passe mes journées.
«Une vidéo de 10 minutes correspond à 30 heures de travail.»
Justement, comment parvenez-vous à conjuguer votre vie religieuse et vos activités digitales?
Je prie entre deux et quatre heures quotidiennement. Il y a la vie communautaire, l’entretien du bâtiment, les prières du jour. Mes activités de prédication sur le web se conjuguent finalement très bien avec la vie dominicaine. Les frères comprennent bien mes exigences et à quel moment il faut me donner un coup de pied aux fesses pour me rappeler à la vie commune. De manière étonnante, je me sens plus dominicain maintenant qu’auparavant.
C’est une mission que m’ont donnée mes supérieurs. Je vais voir le provincial deux fois par an pour rendre compte de mon activité. Comme je porte l’habit des dominicains et que je prêche, j’engage la province dominicaine de France, je ne peux pas dire n’importe quoi. Tout cela s’articule bien. D’une part, je joue le jeu de l’institution parce que j’aime l’Église et que je ne suis pas là pour les mettre mes frères en porte-à-faux. D’autre part, ils me font confiance alors que j’aborde des sujets comme la politique ou la sexualité.
Est-ce facile d’évangéliser sur les réseaux sociaux en 2023?
Quand on parle de la question des transgenres, des élections présidentielles ou encore du divorce, une vidéo qu’on prépare en ce moment, il faut avoir à l›esprit que des gens souffrent. On peut toujours faire une vidéo de deux minutes pour parler du divorce ou de la politique. Cela dit, pour bien faire le travail, il faut prendre en compte la complexité de la vie humaine, et se dire que des gens ont été blessés. Il y a plusieurs manières de dire le dogme ou la morale de l’Église. Soit de manière cassante, en leur disant leurs quatre vérités, soit en leur montrant qu’on a compris la complexité d’une situation et qu’on chemine ensemble pour essayer de trouver des solutions. Ce n’est pas tant qu’on a peur de manquer au dogme, mais qu’il faut être attentif aux situations.
«Pour bien faire le travail, il faut prendre en compte la complexité de la vie humaine, et se dire que des gens ont été blessés.»
Quelles réactions recevez-vous par rapport à ces sujets?
On a plutôt parlé de l’homosexualité et des personnes transgenres, des sujets assez brûlants. Je m’aperçois qu’on a dû progresser puisque nous recevons de moins en moins de messages acerbes ou violents. A force d’essayer de prendre en compte ces réactions, cela nous a obligés à revoir notre manière de parler. Je me suis aperçu qu’on ressent une certaine forme d’émotion lorsqu’on aborde ces thèmes. On ne peut pas tenir un discours ex cathedra pour évoquer les difficultés des gens en instaurant une frontière avec d’un côté celui qui sait et de l’autre celui qui ne sait pas.