Publication dans la revue Lumen Vitae
Née en 1954, Marie-Josèphe Lachat est titulaire d'une licence ès sciences sociales de l'Université de Neuchâtel en 1977, d'une maitrise en théologie de l'Université de Strasbourg en 1998 et d'un certificat de formation continue universitaire (CAS) en accompagnement spirituel de l'Université de Neuchâtel en 2014.
Après avoir dirigé le Bureau de la condition féminine du canton du Jura, Marie-Josèphe est engagée au service de l'Eglise de notre diocèse comme théologienne en pastoral. Instituée par Mgr Kurt koch en 1998, l'ancienne directrice du Centre Saint-François nous parle de son magnifique parcours dans un article publié par Lumen Vitae (revue de juillet/août 2022, pp. 347-355).
" C'est parce que la Parole a été la plus forte que je me suis engagée en Eglise..."
Voici quelques extraits tirés de la revue internationale de catéchèse et de pastorale
" C'est parce que la Parole a été la plus forte que je me suis engagée en Église... Je faisais des études de théologie à l'Université de Strasbourg, lorsqu'un soir m'est venu clairement à l'esprit, et au cœur, que je ne voulais plus faire que cela: proclamer cette vraie Parole de libération qu'est la Parole de Dieu "
J'avais commencé ces études avec curiosité et intérêt, mais sans penser à un engagement en Église, véritablement. À l'époque, j'étais cheffe du Bureau de la condition féminine (BCF) de la République et Canton du Jura, dernier-né des cantons suisses (entré en souveraineté en 1979), mais premier à avoir inscrit le principe d'égalité dans sa Constitution et à s'être doté d'un service consacré à cette mission. Celle-ci était d'améliorer la condition féminine, de favoriser l'accès des femmes à tous les degrés de responsabilités et d'éliminer les discriminations dont elles peuvent faire l'objet.
J'ai eu la chance immense de devoir le mettre sur pied. Au début, notre activité principale était l'information et la sensibilisation. Nous éditions un petit journal, Inform'elles, qui non seulement donnait écho de nos activités, mais qui traitait différents dossiers sous l'éclairage de l'égalité entre femmes et hommes. Le Jura était une région fortement marquée par le catholicisme; la religion avait été un des arguments de séparation d'avec le canton de Berne.
Nous avons pensé qu'il fallait aller voir de ce côté aussi. Nous avons donc élaboré tout un dossier consacré à la théologie féministe pour montrer que l'égalité était peut-être aussi dans le plan de Dieu. Pour moi ce fut une révélation ! J'étais croyante et pratiquante, je dirigeais la chorale Sainte-Cécile de ma paroisse et un petit ensemble vocal dédié à la musique sacrée. Je ressentais évidemment des tiraillements entre ma foi et mon engagement féministe, ou plutôt entre ce que disait mon Église et ce qu'impliquait mon engagement. J'avais besoin de trouver comment les unifier. Les théologiennes féministes m'ont ouvert cette voie. J'ai découvert, alors, que j'étais féministe, tiers-mondiste, écologiste, que je combattais les inégalités autant raciale, économique, que culturelle, parce que j'étais chrétienne ! "
" Je fus instituée le 25 janvier 1998 par Mgr Kurt Koch, qui a été créé cardinal en 2010 et est devenu Président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens "
Mes collègues de l'année pastorale - la Berufseinführung - avaient été institué.e-s et ordonné.e-s durant la même célébration, l'année précédente. Les assistants.es pastoraux.ales et les futurs prêtres avaient vécu ensemble la prostration et la litanie des saints et avaient recu la Bible en signe de leur mission d'annonce. Au terme de la célébration, une assistante pastorale et un prêtre s'étaient présentés à l'assemblée, le prêtre dans sa chasuble éclatante et l'assistante pastorale dans son aube sans couleur, tous deux regrettant que l'évêque n'ait pas voulu que nous recevions une étole.
Cette petite manifestation a eu pour conséquence que notre évêque, voulant distinguer les ministères, a défini un rituel pour la célébration de l'institution sans litanies des saints, sans remise de la Bible et séparée des ordinations. J'eus beau me débattre, je fus la première à inaugurer ce nouveau rituel.
La proclamation de l'Évangile
Lorsqu'on m'a invitée à faire ma première homélie, j'ai aussi proclamé l'Évangile. J'avais appris de mes collègues alémaniques, durant ma « Berufseinsführung », qu'ils et elles proclamaient l'Évangile, mais j'ignorais que dans le Jura pastoral cela ne se faisait pas... Puisque pour moi, la Parole a été la plus forte et m'a conduite à cet engagement, sans me poser de question, je suis allée annoncer cette vraie Parole de libération. Après la messe, deux jeunes m'ont dit que je n'en avais pas le droit. Je leur ai répondu qu'il fallait bien que je commence par lire le texte... si je voulais le commenter ! Mais ensuite, me renseignant, j'ai appris mon audace et j'ai persisté, car il m'est apparu que c'était le signe visible que la Parole n'était pas réservée aux clercs, qu'elle était offerte à chacune et chacun et qu'il fallait s'en emparer, pour la lire, la méditer... et en vivre.
" Une collègue m'écrit: « Je ne sais pas si le genre a une influence dans ce que nous croyons apporter. Pour ma part, je ne prétends rien apporter "
Ce sont plutôt les textes qui apportent la Parole, une manière pour Dieu de venir à notre rencontre, de planter sa tente dans notre quotidien. Quant à moi, j'essaie d'ouvrir des portes aux gens pour leur donner un accès aux textes, à ce que Dieu veut nous dire aujourd'hui.
Il est vrai qu'il peut être sexiste de prétendre apporter quelque chose de particulier en tant que femmes... mais il est tout aussi évident que c'est ainsi que nous sommes perçues, en tant que femmes. D'ailleurs, une consœur décrit ainsi notre apport: « Un regard et un éclairage de la Parole à la lumière d'une sensibilité féminine, d'un vécu autre. »
Ce que nous apportons selon les retours des membres de l'assemblée
La capacité à toucher le concret, à oser les émotions, à inventer, à offrir des pistes de méditation et de réflexion qui risquent le sensible, l'expérience de vie d'un point de vue différent, plus humain, plus empathique sont souvent évoquées. La simplicité, l'humilité, une certaine liberté, le lien au quotidien, aussi.
Il est très rare que j'aie d'autres retours que "c'était bien, pas trop long et pas trop compliqué." Je suis contente surtout des "pas trop compliqués" qui me semblent être les signes qu'il a pu se passer quelque chose entre les gens et la Parole, que la Parole a peut-être été rencontrée, accueillie.
Devons-nous apporter quelque chose ?
Si nous devons apporter quelque chose? Peut-être des clés pour ouvrir les portes. Et aussi essayer de vivre ce qu'on dit, en toute humilité et simplicité. L'Espérance quant au message de Jésus, aujourd'hui encore, avec un éclairage compétent, réflexif et théologique. »
Mais cela n'est pas propre aux femmes... En effet, poser la question d'un apport spécifique risque d'aboutir à justifier notre prise de parole par ce supposé apport... Je ne pense pas que nous devons apporter quelque chose de particulier en tant que femme, même si certainement nous le faisons. Par contre, la Parole doit être donnée aux femmes, tout simplement, sans justification... ou sans autre justification que celle, d'origine, d'avoir été apôtres des apôtres.
" L'amélioration de la place des femmes dans l'Église n'est plus à choisir, elle s'impose! Et le temps est favorable ".
Bien sûr, cela suscite des réactions, violentes parfois, comme pour en souligner leur vanité. Ainsi, tout dernièrement, le 5 avril 2022, l'exclusion du groupe paroissial « Féminisme en Église » de la paroisse Saint-Pierre de Montrouge, à Paris, à la suite de la célébration d'une « messe féministe ».
Le groupe de préparation l'avait appelée ainsi, car il voulait donner plus de visibilité aux femmes, simplement en choisissant des lectrices pour proclamer les textes évangéliques et une théologienne pour les commenter...rien d'autre que ce que nous vivons parfois dans notre diocèse !
Notre Église est bien mise à mal depuis quelques années... Notre pape François a déjà mis en relation abus de pouvoir, abus de conscience et abus sexuels. Il s'avère que le cléricalisme est pointé du doigt comme système « favorisant » ces attitudes. Il y a beaucoup d'espoirs dans le processus de synodalité qui est amorcé. Celui-ci notamment a fortement souligné que la place des femmes dans l'Eglise était un sujet impératif... Espérons que cette réflexion donne un nouveau souffle... il y a urgence !
Et si les femmes étaient... l'avenir de notre Église ?