Jésus avec les pauvres face à Caïphe, dans la Passion d'Oberammergau (Allemagne) | © Birgit Gudjonsdottir
Fidèle à un vœu prononcé en 1633, les habitants du village bavarois d’Oberammergau jouent la Passion du Christ chaque décennie. La pandémie a obligé à repousser en 2022 les représentations prévues en 2020. Reportage sur une ferveur théâtrale et religieuse qui attire le monde entier.
Bernard Litzler pour cath.ch
Le chevelu et barbu Rochus Rückel, 26 ans, joue le rôle du Christ. «La Passion fait partie de la vie d’Oberammergau, inévitablement. Comme enfant, on y participe déjà avec ses camarades d’école. Puis on continue…». Il est, cette année, l’un des deux Jésus. Un rôle délicat: «Vivre la crucifixion est très impressionnant. Jouer la mort, suspendu et à demi nu, devant tant de monde, c’est émouvant à chaque fois», confie l’étudiant en technique de construction.
Oberammergau et la Passion, c’est une longue histoire. Un vœu et une fidélité qui datent de 1633. Cette année-là, la peste emporte 84 villageois. Promesse est alors faite de jouer la Passion pour conjurer le fléau. Aussitôt, la faucheuse s’arrête. Depuis, le vœu se perpétue de décennie en décennie. Seuls trouble-fêtes, les guerres: l’édition de 1920 est reportée en 1922, à cause de la Grande Guerre, et celle de 1940 annulée. Pour la troisième édition de notre siècle, le covid a contraint à passer de 2020 à 2022.
Le «Passionstheater»
Gérée par la municipalité, la Passion est l’affaire de tout le village de 5’000 habitants. Cinq fois par semaine, 1’700 acteurs, chanteurs, musiciens et techniciens s’activent dans le Passionstheater semi-couvert. Et le public répond: 450’000 personnes sont attendues cette année, en provenance d’Allemagne, des Etats-Unis (50% des spectateurs), de Suisse, d’Australie, d’Afrique du sud…
«Notre village vit avec, pour et à travers la Passion», confesse Christian Stückl, metteur en scène et auteur du texte. Le bouillant régisseur, 61 ans, directeur du Volkstheater de Munich, en est déjà à sa quatrième édition: «La Passion a aussi un rôle économique, nous en vivons. Et des relations humaines se créent ainsi: c’est un stimulant pour nous».
«Grüss Gott»
Le jour de la représentation, vers 14 heures, les villageois convergent vers le théâtre à pied, à bicyclette, en voiture. Des barbus et des dames de tous âges, des blondinets pressés, des musiciens, instrument sur l’épaule. Sourires, «Grüss Gott», l’aventure s’installe.
Les spectateurs, environ 4’000 personnes, guettent les premières notes de la fosse d’orchestre. A 14h30 débute le prologue chanté par 65 choristes, vêtus à l’ancienne. Ils rappellent le vœu de 1633. Et déjà apparaît Jésus sur son âne, accompagné des hosannah de la foule. Les grands prêtres fulminent, le prennent à partie. La dramaturgie est en place.
«Ecoute Israël»
Les actions s’enchaînent: l’onction de Béthanie, les marchands chassés du Temple, la Cène, etc. Des personnages émergent, à travers les vifs dialogues taillés par Christian Stückl: Judas, le grand prêtre Caïphe, Joseph d’Arimathie… L’accusation fourbit ses armes. «Jésus est du côté des réfugiés, des pauvres et des veuves. Je me suis inspiré de l’Evangile de Jean, bien sûr, et de celui de Matthieu», indique le metteur en scène.
En vrai juif, le Christ d’Oberammergau porte la kippa et prie le Shma Israël («Ecoute Israël»). A 17h, fin de la première partie. Jésus a été arrêté. Le public s’égaie dans le coquet village, entre boutiques et restaurants. Reprise à 20 heures.
Judas, déchiré
A 20 heures, la seconde partie s’engage avec intensité. Avec, comme précédemment, des scènes de l’Ancien Testament: Daniel dans la fosse aux lions, Moïse et la Mer rouge, etc. Des «tableaux vivants», introduits par les choristes, qui renforcent la gravité de l’histoire.
Pilate, look «d’officier nazi» – selon les critiques – , se heurte à Caïphe, virulent accusateur. Jésus, frappé et fouetté, se retrouve seul face à la meute vociférant. Judas, lui, déchiré, se pend spectaculairement. La scène multiplie entrées et sorties, entre moments intimistes et mouvements de foule. Jusqu’à la crucifixion et le «Tout est accompli».
La résurrection est alors sobrement évoquée. Devant le tombeau vide, Marie et Marie-Madeleine réalisent la portée de l’événement pascal. Le chœur revient dans un poignant Alleluia final. La scène se vide. Le public goûte, silencieux.