Dans une homélie l'abbé Jean Jacques Theurillat évoque les abus sexuels commis dans l’Eglise catholique
L’abbé Jean Jacques Theurillat, vicaire épiscopal pour le Jura pastoral, a célébré au carmel de Develier la messe du dimanche 3 mars 2019 (8ème dimanche du temps ordinaire C). A cette occasion, il a commenté les textes bibliques du jour (voir ci-contre, à la suite de l’homélie) en lien avec l’actualité des abus sexuels commis dans l’Église catholique.
8ème dimanche du temps ordinaire C - 3 mars 2019 - Carmel de Develier
Chères sœurs, chers frères, la question de Jésus qui ouvre l’Évangile de ce dimanche prend un sens tout particulier en cette période marquée par l’accumulation de scandales, de nature sexuelle, touchant l’Église catholique : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? » Les responsables de l’Église, ou tout au moins une partie d’entre eux, sont-ils des aveugles qui vont faire tomber tout le peuple de Dieu dans un trou ?
La question se pose, car la crédibilité et la confiance en l’Église sont malmenées après un enchaînement de révélations toutes plus sordides les unes que les autres. Cela fait plus de vingt ans que le scandale des abus sexuels sur des mineurs revient périodiquement sur le devant de la scène. On peut être effaré devant les atermoiements de certaines autorités ecclésiales qui n’ont toujours pas pris la mesure de ces révélations. A cela s’ajoute d’autres abus commis sur des adultes, comme par exemple sur des religieuses, expression ultime d’un abus de pouvoir et d’un abus spirituel. Enfin, d’autres publications dénoncent le scandale de la double vie de certains prêtres. L’émoi devant ces révélations touche tout le monde, car ce sont les bases mêmes du respect et de la justice qui sont bafouées. Mais pour les membres de l’Église, pour les hommes et les femmes qui s’engagent de tout leur cœur dans nos paroisses, le scandale est encore plus grand. Ils se sentent personnellement trahis.
Trop souvent, en Église, notre réaction première a été de voir dans ces révélations l’expression d’un complot extérieur visant à détruire l’Église. Pourtant le mal n’est pas extérieur, mais intérieur. C’est ce qu’écrivait déjà le cardinal Ratzinger, dans les méditations du chemin de croix 2005, quelques jours avant la mort de Jean-Paul II. Le futur pape Benoît XVI s’exclamait : « Dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons ! »
Voici donc que l’Église est prise en défaut. Ce que Jésus dénonce, c’est précisément ce qu’elle fait : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? » Ces scandales malmènent l’Église, plus que toute autre institution, parce qu’elle est porteuse de valeurs morales et parce que, trop souvent, l’Église a été donneuse de leçons, spécialement en matière de sexualité. Aujourd’hui, nous devons entendre l’appel de Jésus : « Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » Il nous faut sortir des faux-semblants et retrouver l’attention simple et naturelle que Jésus avait vis-à-vis de ceux qu’il rencontrait.
Sans vouloir développer un programme, trois prises de conscience, suivies de changements, me semblent nécessaires.
- Premièrement il s’agit de reconnaître qu’il y a des victimes et qu’il a des criminels. La parole des victimes doit être libérée, entendue et suivie de procédures visant à déterminer l’ampleur et la qualification des faits. Cette tâche, dans un état de droit comme la Suisse, revient aux autorités judiciaires civiles. Elles seules peuvent enquêter, juger les faits et déterminer qui est coupable. Trop souvent l’Église a vu dans les abuseurs des pécheurs, devant être invités à la pénitence, ce qui exclut les victimes, alors qu’ils doivent être reconnus comme des criminels devant rendre compte de leurs actes face aux victimes.
- Deuxièmement, il faut désacraliser les ministères ordonnés, qui n’ont pas de pouvoir supérieur aux autres, si ce n’est la puissance de l’abaissement du crucifié. Un prêtre ou un évêque n’est pas le représentant de Dieu sur terre, il est le serviteur du peuple de Dieu. Si dans la célébration des sacrements il agit « en nom et place du Christ », c’est pour actualiser le salut offert par le Christ, pas pour obtenir un pouvoir personnel en toutes choses.
- Troisièmement, un équilibre durable ne pourra être trouvé dans la vie de l’Église, qu’en donnant des responsabilités plus grandes aux femmes. Beaucoup de problèmes, dénoncés aujourd’hui, sont venus d’un repli sur des cercles de pouvoir exclusivement masculins.
Chers sœurs, chers frères, en ces temps troublés, nous sommes comme noyés dans les ténèbres. Pourtant, la conclusion de l’Évangile de ce dimanche nous ouvre une espérance. Jésus déclare : « Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit. » Il y a bien sûr quelques branches pourries. Mais il y a aussi de nombreux fruits réjouissants qui prouvent que l’arbre de l’Église est encore bon. On pourrait regarder au loin, mais on peut aussi regarder ici, chez nous. Il y a l’annonce de l’Évangile qui conduit des enfants et des adultes à demander le baptême. Ces personnes, les catéchumènes, vivront dimanche prochain l’appel décisif à l’église de Courtételle. Il y a le soutien de la vie, jusqu’à son terme, et tout l’accompagnement apporté dans les hôpitaux, dans les EMS ou à domicile. Il y a la promotion de la justice et la défense de création, relayées par les campagnes de l’Action de Carême. Il y a l’accompagnement des différentes étapes de la vie, qui célèbre la joie, qui donne force, qui apporte le réconfort. Devant ces bons fruits, nous pouvons rendre grâce à Dieu pour tous ceux qui contribuent à leur éclosion.
Enfin, il faut rappeler que l’encouragement de Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, nous est aussi adressé : « Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue. » C’est en mettant notre foi dans le Christ, que nous pourrons franchir cette crise avec lucidité et courage : lucidité de dénoncer le mal, courage de changer un fonctionnement qui peut favoriser les abus et l’arrogance. Amen.
Abbé Jean Jacques Theurillat,
vicaire épiscopal pour le Jura pastoral