A Notre-Dame de la Prévôté, Sœur Françoise-Romaine fait ses adieux au nom des sœurs | © Philippe Girardin
Film de la célébration
Moutier: le départ des Sœurs d'Ingenbohl dignement célébré
La paroisse catholique de Moutier a pris officiellement congé des Sœurs d’Ingenbohl, le 23 août 2020. Les contraintes sanitaires n’ont pas empêché les Prévôtois de fêter dignement de départ des religieuses pour Fribourg, après 90 ans de présence dans la cité jurassienne de saint Germain de Trèves.
Comme annoncé en mai 2020, les Sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl ont été rappelées dans leur communauté à Fribourg et, faute de vocation, elles ne seront pas remplacées. Malgré les règles sanitaires, les paroissiens de Moutier ont pu maintenir la fête de départ.
Depuis 37 ans à Moutier, Sœur Françoise-Romaine est devenue un personnage public dans la ville. Cette popularité vient de lui permettre d’entrer dans le Dictionnaire du Jura. Elle a désormais sa propre page, parmi d’illustres personnalités, à l’instar d’un certain saint Germain (†675), premier Abbé de Moutier-Grandval. (cath.ch/gr)
Après 37 ans d'engagement à Moutier
Personnage emblématique de Moutier, la religieuse se retire dans un couvent de sa communauté à Fribourg. Ses 37 années de bonnes œuvres ont été célébrées dimanche
Dernières confidences de Sœur Françoise-Romaine, alerte nonagénaire, qui quittera sa chère Prévôté dans quelques jours.
Près de quatre décennies de soutien, d'écoute et d'affection. Soeur Françoise-Romaine est connue de toutes et tous à Moutier. Qui n'a jamais vu la dynamique religieuse sillonner les rues de la ville en motocyclette ou à vélo ? Cette période arrive pourtant à son terme. Dimanche, une grande célébration a permis de rendre hommage aux Sœurs d’Ingenbohl, qui quittent la cité prévôtoise après 90 ans de présence. Un moment d'émotion pour Soeur Françoise-Romaine et Soeur Marie-Germaine. Les deux nonangénaires s'en retournent dans quelques jours aux sources, auprès des leurs, dans un couvent situé à Fribourg.
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Un bref reportage vidéo viendra compléter cette page.
Les Sœurs d’Ingenbohl à Fribourg, dans une maison ouverte aux besoins du temps
Confortablement installé au Schoenberg, un quartier résidentiel surplombant la Sarine, avec vue imprenable sur la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg dressée sur la rive opposée, l’Institut des Sœurs de charité de la Sainte-Croix, communément appelées les Sœurs d’Ingenbohl, rassemble sur un même site la maison provinciale de Suisse romande, le couvent de la congrégation, une chapelle et l’une des trois antennes de l’ISRF, l’Institution de santé pour religieuses et religieux du canton de Fribourg, le tout serti autour d’un vaste jardin arborisé. Après les grands chantiers de construction du home et de rénovation de la maison provinciale, entre janvier 2014 et l’été 2016, la communauté religieuse s’apprête à vivre une nouvelle étape importante de son existence : face à la diminution de leur effectif, les provinces romande et alémanique fusionneront au 1er janvier 2019 pour donner naissance à la « Province suisse » des Sœurs d’Ingenbohl. Cette fusion doit permettre d’alléger les structures de direction de la communauté.
« Une entité disparaît et dans le même temps, on va ouvrir une quatrième province en Inde », soupire Sœur Danièle Perrier, conseillère provinciale, qui nous accueille au 20 du Chemin des Kybourg pour la visite des lieux. Sœur Marlyse Cantin, responsable de l’ISRF est à ses côtés : « Mon rôle est l’accompagnement de nos Sœurs, étant donné qu’au sein de l’institution, la prise en charge des soins est assurée uniquement par des laïcs. J’assume donc la coordination entre le personnel, nos Sœurs et leur famille ».
Fondée en 2010 par la volonté commune de la province romande des Sœurs de charité de la Sainte Croix d’Ingenbohl, de l’Œuvre de Saint Paul et de l’Institut Sainte-Ursule (voir GRANDIR n°4/2017), l’Institution de Santé pour religieuses et religieux Fribourg (ISRF) a pour but d’accueillir des religieuses et des religieux âgés en situation de dépendance afin de leur assurer des soins et un accompagnement par un personnel compétent. Les trois sites comptent actuellement près de 70 résidents issus d’une quinzaine de congrégations différentes.
Une vie au rythme de la liturgie
« Pour construire ce home tout neuf et parfaitement équipé aux normes actuelles, il a fallu d’abord démolir l’aile est du couvent », confie Sœur Marlyse. « Ce chantier était aussi l’occasion de rénover l’aile ouest qui abrite aujourd’hui nos sœurs valides, ainsi que les neuf Sœurs Blanches de la communauté romande des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique. Les travaux de construction de l’EMS ont débuté en janvier 2014 et se sont terminés au printemps 2015. Quant aux travaux de rénovation, ils se sont achevés en été 2016 ».
Comme sur les deux autres sites de l’ISRF, le home des Sœurs d’Ingenbohl ne comporte pas de séparation physique avec les lieux d’habitation occupés par les sœurs actives. Et, comme chez les Ursulines et les Sœurs de Saint-Paul, la vie de la maison se fait au rythme de la liturgie. La prière et l’eucharistie quotidienne occupent une place essentielle dans l’institution : réparties sur trois des quatre niveaux du home, les 24 religieuses pensionnaires en secteur médicalisé disposent même d’un accès direct aux balcons superposés dans la chapelle, qui elle, a été rénovée en 2005.
Tout en marchant dans les larges couloirs du home, Sœur Marlyse évoque encore quelques pages d’histoire : « Les Sœurs d’Ingenbohl sont arrivées à Fribourg dans les années 40, dans la Villa Beata, près de l’hôpital cantonal. A l’époque c’était un vicariat. Puis elles se sont installées ici, au Schoenberg, d’abord dans la villa du début du XXe siècle qui est au fond du jardin, puis dans le couvent construit dans les années 50 et qui est devenu la maison provinciale en 1956 ».
Au rez-de-chaussée, la grande baie vitrée de la cafétéria s’ouvre sur une grande terrasse qui borde le jardin aménagé où deux employés fauchent une parcelle en prairie fleurie. « Ce sont les concierges », précise Sœur Marlyse. « Le home à une direction et son personnel. La communauté à son propre personnel pour la cuisine, le ménage et la buanderie. Ça représente une dizaine de personnes ».
Aux étages du home, les dégagements sont modulés avec des espaces communautaires : autour d’une table des religieuses en chaise roulante prennent une collation en bavardant avec une aide-soignante, ailleurs, des sœurs valides s’activent sur un puzzle. Du sol au plafond, dans le home comme dans le couvent rénové, les matériaux et couleurs identiques contribuent à l’harmonie de ce complexe très lumineux.
L’avenir caché dans les murs
Les chambres de l’EMS sont très spacieuses avec, évidemment, une salle de bains adaptée aux personnes à mobilité réduite. A chaque étage, les portes des chambres sont de couleurs différentes afin que les résidentes puissent se repérer aisément dans le bâtiment. Sœur Marlyse s’arrête dans un office équipé d’une petite cuisine : « Tout a été prévu pour l’avenir de notre maison… quand nous ne serons plus là, les chambres pourront être aménagées en studios : dans les murs il y a déjà les arrivées d’eau et toute la plomberie pour installer des kitchenettes ».
En septembre 2016, à l’occasion de l’inauguration du site, Sœur Louise-Henri, la supérieure provinciale, a écrit : « Une maison, qui plus est, abrite des vies fragilisées par l’âge et la maladie, n’est jamais totalement terminée. C’est la raison pour laquelle « sa construction, intérieure surtout » restera un constant « besoin du temps » appelant des réponses sans cesse nouvelles. Cette maison sera sans doute appelée à « étendre ses cordages, » Is.54,2 pour un accueil toujours plus large, toujours nouveau, surprenant peut-être. Mon souhait le plus profond : qu’elle reste « ouverte aux besoins du temps. »
Pascal Tissier
GRANDIR n°4/18 juillet-août 2018
Sœur Danièle Perrier est connue à Fribourg : de 1994 à 2002, elle était presque tous les jours à la gare où elle s’est attachée à faire – bénévolement – de la pastorale de rue auprès des jeunes : « Le plus souvent, c’est moi qui faisais le premier pas pour entamer une conversation et ça se terminait généralement dans un café. Il y avait vraiment un besoin à ce niveau-là. C’est la présence qui est importante, comme l’écoute et la gratuité ».
A l’entendre, l’habit religieux n’était pas une barrière dans ses rapports avec les jeunes : « Il s’est avéré que c’était plutôt un atout. Les jeunes trouvaient l’habit rassurant, ils se livraient en toute confiance. Ces années ont porté leurs fruits : d’autres personnes ont pris le relais et j’ai encore des contacts avec des jeunes que j’ai côtoyés à la gare… ils ont 40 ans aujourd’hui ».
En 1996, dans le sillage des situations détresses perçues à la gare, Sœur Danièle s’associe avec la doctoresse Diane Savoy pour fonder AGAPA, acronyme d’« Association des Groupes d’Accompagnement - Perte de grossesse - Abus - Maltraitance - Survivance ».
« Cette association est plus vivante que jamais. Il s’agit d’un espace d’écoute, de parole et de thérapie destiné aux personnes affectées par différentes souffrances comme la perte ou l’interruption d’une grossesse, la survivance, les maltraitances, les abus ou les négligences.
Une vie épanouie
Aujourd’hui, à 70 ans, Sœur Danièle est toujours active : « En ce moment, mon travail de conseillère provinciale se focalise surtout sur la procédure de fusion avec la province de Suisse alémanique. En marge de la communauté, j’assume encore un bon mi-temps pour AGAPA Suisse-Romande et je suis aussi bénévole dans un mouvement d’Action catholique ».
D’une voix douce qui révèle ses origines valaisannes, Sœur Danièle évoque son charisme : « A plusieurs étapes de ma vie j’ai été une pionnière, mais sans chercher à l’être. Ce sont les circonstances qui m’ont amené à tirer en avant des projets pionniers, comme ces huit ans à la gare ou AGAPA. J’ai eu de la chance d’entrer dans cette congrégation, dont le charisme fait écho au mien... et quand deux charismes se rejoignent, la vie peut s’épanouir ».
Qu’elle est votre prière préférée ? « C’est « Loué sois-tu, Seigneur, pour notre amour ». Au soir des journées que je passais à la gare, j’invoquais le Seigneur à travers cette prière pour chaque jeune rencontré. Elle souffle l’esprit franciscain ».
Pascal Tissier
GRANDIR n°4/18 juillet-août 2018
Entretien avec Sœur Louise-Henri Kolly, supérieure provinciale
Quel a été votre parcours de vie ?
J’ai passé une enfance des plus heureuses à Hauteville, en Gruyère, où mon père exploitait une laiterie-fromagerie. J’étais l’avant-dernière enfant d’une fratrie de trois garçons et trois filles. A l’adolescence, mes parents ont eu la sagesse de me placer à l’internat de Tavel, chez les Sœurs de Saint Vincent de Paul, puis à Kriens, chez les Sœurs de Menzingen et c’est ainsi que j’ai terminé ma scolarité en langue allemande. Dans un premier temps je pensais devenir diététicienne, mais finalement j’ai préféré devenir infirmière. En attendant d’avoir les 19 ans nécessaires pour entamer les études, j’ai été aide-soignante, puis réceptionniste à la clinique Sant’Agnese, à Muralto (TI), tout en suivant assidûment des cours d’italien et d’anglais chez les Sœurs du monastère Sainte-Catherine à Locarno. Puis, alors que j’envisageais de partir en Angleterre, mon père est décédé subitement, ce qui m’a amené à revoir mes projets d’avenir pour aller prêter main-forte à la maison.
Quel a été le déclic qui vous amené à la vie religieuse ?
Je ne peux pas le formuler précisément, mais, dès l’enfance, j’ai ressenti en moi l’appel à la vie religieuse : la relation à Dieu, aux autres, au monde en général me tenait déjà à cœur. Ma réponse, elle, a été une longue maturation. Certitudes et incertitudes se sont succédé. Si l’Esprit-Saint est resté à l’œuvre en ces années de discernement, je suis certaine que le terreau familial, où prière, travail, accueil, ouverture, engagement et partage tenaient une place importante, a éclairé ma vocation.
Pourquoi avoir choisi la communauté des Sœurs d’Ingenbohl ?
Le contact direct avec les Sœurs, leur façon de vivre, l’héritage reçu de leurs fondateurs et l’insertion missionnaire de la congrégation m’ont fortement interpelée. J’avais 20 ans lorsque je suis entrée dans la province de Suisse romande des Sœurs d’Ingenbohl. Après un temps de candidature suivi du postulat et du noviciat, j’ai prononcé mes premiers vœux à 25 ans. C’est aussi à ce moment-là que je suis entrée à l’école d’infirmières de Fribourg. Mon diplôme en poche j’ai prolongé les études pour me spécialiser dans la formation. Finalement, mes huit ans d’enseignement-clinique auprès des élèves de l’école d’infirmières de Sion et les dix ans passés à la direction de l’EMS Saint-Joseph de Sierre, font partie de mes engagements apostoliques. S’ajoutent ensuite les années au service interne de la congrégation, soit huit années au poste de supérieure provinciale de la province de Suisse romande ; douze ans comme supérieure générale de la congrégation ; puis, après un temps sabbatique, encore neuf années de provincialat, mandat qui s’achèvera à la fin de l’année.
Que vous inspire l’érosion des vocations ?
C’est une situation de réel défi… Je pense que la déchristianisation et le changement profond des valeurs de la société occidentale contribuent à l’érosion des vocations. Mais cette situation est aussi un tremplin, une invitation à plus de fidélité, à vivre l’espérance, à chercher et à découvrir le Père toujours à l’œuvre. L’Histoire de l’Eglise, celle du peuple de Dieu, comme celle de notre congrégation est source de confiance, d’une confiance active. Et c’est là peut-être, la difficulté à laquelle je m’achoppe…
Quel est, selon vous, l’avenir des Sœurs d’Ingenbohl en Suisse et plus largement dans le monde ?
En Suisse, le nombre de Sœurs ne cesse de diminuer, c’est un fait. Tout en gardant le cœur ouvert à la mission universelle, dans le contexte qui est le nôtre, ici et maintenant, avec une population vieillissante, je vois notre mission d’offrande, de prière et de solidarité concrète fragilisée et exposée à des dérives inhumaines, hors de toute éthique. Ailleurs dans le monde, les vocations sont encore nombreuses, notamment en Ouganda, en Croatie, en Slovaquie ou dans les provinces indiennes qui comptent actuellement plus de 1'200 religieuses. Les champs d’apostolats des Sœurs sont très variés et répondent aux besoins du temps. Nous les trouvons en des lieux « impossibles » d’éloignement, de pauvreté ou de persécutions. Et puis, je ne voudrais pas les oublier, ces provinces gratifiées de vocations au « compte-gouttes ». Chaque vocation est un don de Dieu… et unique. Ne courons-nous pas le risque de ne relever que les chiffres qui impressionnent ?
Quelles sont les ressources de votre communauté ?
Les rentrées salariales sont des plus insignifiantes. La mise en commun des biens nous permet de vivre simplement de notre travail, des prestations AVS et, pour certaines Sœurs, de prestations d’une caisse de pension ou de modestes économies.
Quels ont été les changements importants pour votre communauté au cours de ces dernières années ?
Aujourd’hui, comme aux origines de la congrégation, les besoins du temps dictent nos engagements, et donc les transitions à effectuer. Parmi les changements opérés ces quinze dernières années je citerais les fermetures successives de postes et le retour définitif à la Maison provinciale de nombreuses Sœurs. L’épreuve de la maladie et la perte des forces vives sont souvent au rendez-vous d’une cessation d’activité. Il y a bien sûr la remise à des laïcs du secteur « infirmier » de la maison, avec la création de l’ISRF.
Maintenant, même nos statuts juridiques vont changer. Dès le 1er janvier 2019, notre province de Suisse romande fusionnera avec celle de Suisse alémanique pour donner naissance à la « Province suisse » des Sœurs d’Ingenbohl. Cette fusion se justifie par le nombre décroissant des Sœurs, le manque de personnel pour repourvoir les postes à responsabilités et l’amenuisement des ressources financières.
Auriez-vous un message à transmettre aux lecteurs de GRANDIR ?
La foi en la communion des saints a toujours été pour moi une source incroyable de force, de confiance et d’expérience profonde à travers « notre être ensemble, peuple de Dieu en marche ». Restons-y fidèles.
Quelle est votre prière préférée ?
D’une manière générale, celle des psaumes priés le plus souvent en communauté. Ils sont mes compagnons de route. J’affectionne particulièrement le Psaume 138 qui me dit Dieu si proche, présent aux actes les plus ordinaires de ma vie.
Pascal Tissier
GRANDIR n°4/18 juillet-août 2018