Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, a visité en août 2019 l’Amazonie colombienne. Il a été témoin des graves problèmes écologiques et sociaux qui touchent la région. A la veille du Synode sur l’Amazonie, à Rome, le président de la Conférence des évêques suisses (CES) est revenu persuadé qu’en Suisse et en Occident, également, «nous devons repenser notre mode de vie».
Colette Kalt, Action de Carême
En sa qualité de président de la fondation Action de Carême, Mgr Gmür a visité diverses organisations partenaires en Amazonie colombienne. «Ce qui m’a le plus frappé lors de mon voyage», relate-t-il «ce sont toutes les personnes rencontrées. Il est rare en effet qu’on s’intéresse à elles et à leur cause. Je me suis mis à leur écoute et ai ressenti le plaisir qu’elles en ont retiré; mais j’ai aussi vu ce qui les opprime».
Le président de l’œuvre d’entraide catholique a parcouru le nord du pays, sur les rives de la mer des Caraïbes, ainsi que le sud, à l’orée de l’Amazonie, en passant par les cordillères du centre du pays. «En Colombie, ce qui est extraordinaire, c’est la diversité des personnes, des modes de vie, des visions, des communautés et en particulier la biodiversité, bien supérieure à celle que l’on voit chez nous. Autre différence, les institutions ne fonctionnent pas ou mal, comme dans de nombreux pays où l’Action de Carême est présente; la corruption et le pillage des ressources naturelles s’en trouvent favorisés. Ce qui n’empêche pas les gens, là-bas comme ici, d’aspirer à la justice, à la reconnaissance et à une vie digne d’être vécue.»
Du charbon colombien pour l’Europe
Mgr Gmür a notamment visité El Cerrejón, l’une des plus grandes mines de charbon à ciel ouvert au monde, qui s’étend sur 69’000 hectares. Avant son ouverture, le site était recouvert de forêt vierge et accueillait un peuple indigène. Aujourd’hui, de profondes cicatrices sillonnent cette vaste étendue dans le nord-est colombien. Nuit et jour, d’immenses engins de chantier défoncent le terrain et extraient du charbon. Les personnes qui y habitaient, parfois depuis des générations, ont perdu leur lieu de vie.
Une réalité qui a profondément interrogé Mgr Gmür. Il a appris qu’un tiers de la compagnie minière appartenait à une société qui a son siège à Zoug, dans le diocèse de Bâle. Le charbon est exporté vers les Pays-Bas et l’Allemagne. «Il est absurde qu’il soit meilleur marché d’extraire du charbon en Colombie puis de l’exporter vers l’Europe. Mais cela montre aussi que quelque chose ne tourne pas rond dans notre système», commente l’évêque.
S’il n’a pas de panacée à proposer, Mgr Gmür a toutefois des idées sur la façon d’affronter le problème. «J’ai demandé aux gens s’il existe une industrie extractive durable. Car nous avons toujours besoin de charbon. Comment l’activité minière peut-elle être durable? Faut-il s’enfoncer davantage dans la terre, extraire moins de minerai, diminuer le rythme d’extraction? Certes, cela a un coût, mais la préservation de nos moyens de subsistance a elle aussi son prix».
La solidarité au secours des communautés
L’un des principaux champs d’action des partenaires locaux d’Action de Carême, notamment en Colombie, est de préserver la terre et l’eau. Ils demandent que l’eau ne soit pas polluée et que la terre puisse accueillir et nourrir la population.
Les mines sont très gourmandes en eau, ce qui a des effets dévastateurs. Une communauté indigène vit en aval de la mine d’El Cerrejón, à une grande distance. Certes, on n’y extrait pas de charbon, mais la rivière y est polluée et son niveau a beaucoup baissé. La communauté n’a plus de forêt, elle ne peut plus pêcher, elle est privée de ses moyens de subsistance.Et c’est encore pire lorsque la population doit quitter ses terres, comme l’a constaté Mgr Gmür lors d’une visite à une communauté déplacée. La communauté habitait à l’origine en altitude, à l’ombre, près de l’eau, où la vie est plus facile, la nature exubérante. Aujourd’hui, elle est installée en plaine, la végétation est clairsemée et la chaleur accablante.
Mais la solidarité renforce la cohésion des communautés et constitue un rempart contre l’accaparement des terres. Si les membres de la communauté négocient en bloc, ils évitent que les acheteurs potentiels sèment la zizanie. Mgr Gmür a aussi été convaincu par le système matriarcal des communautés indigènes. «La terre appartient aux femmes, et ce qui y pousse aux hommes. Personne ne peut décider pour lui seul, tous doivent être d’accord. Il est donc difficile de désunir ces communautés. La propriété est segmentée de façon à ce que leurs membres restent dépendants les uns des autres».
S’unir pour atténuer le changement climatique
Avant de conclure son voyage, Mgr Gmür a participé à Bogotá, la capitale colombienne, à un synode de deux jours organisé pour préparer le Synode sur l’Amazonie. Les évêques de l’Amazonie, les indigènes, les climatologues et les écologues présents étaient unis par le même souci de sauvegarder notre maison commune.
L’évêque de Bâle est rentré de son périple persuadé qu’il n’y aura pas d’amélioration sans renoncement ou, du moins, une orientation vers la sobriété. «C’est une idée qu’il n’est pas facile à faire passer, les thèmes écologiques ne sont pas faciles à aborder. Il faut néanmoins repenser notre mode de vie, car le changement climatique déploie ses effets chez nous aussi: les périodes de canicule s’allongent, les précipitations sont plus intenses et les glaciers fondent plus rapidement.» (cath.ch/ck/rz)