Nicole Christinat veut des cérémonies lumineuses pour «prendre soins des endeuillés» | © Bernard Hallet
Nicole Christinat est ministre des funérailles à la paroisse Notre-Dame de Lausanne depuis une dizaine d’années. L’écoute et l’empathie à l’égard des familles qui traversent un moment douloureux: tel est le credo de cette laïque engagée et énergique.
«L’écoute des proches du défunt est cruciale! Un peu d’inattention et on passe à côté de l’essentiel… et la cérémonie est fichue d’avance!», lance Nicole Christinat, ministre laïque des funérailles à la paroisse Notre-Dame de Lausanne. Le brushing impeccable et l’allure policée de cette jeune retraitée dissimulent mal une belle énergie.
La distance nécessaire
L’empathie est une autre qualité dans la rencontre, «à un moment où la famille est sous le choc du décès». Cela me permet de garder la distance nécessaire: «Ainsi la mort me touche mais ne me concerne pas». Deux médecins l’avaient chaleureusement remerciée pour cette écoute. Le processus de deuil pouvait commencer pour les deux frères qui avaient perdu leur maman.
Nicole Christinat peut passer jusqu’à deux heures pour recueillir des souvenirs, des confidences et des traits de caractère marquants. C’est, à ses yeux, le moment le plus important d’une rencontre, où par ailleurs elle prépare la cérémonie proprement dite. De cet échange, elle extrait l’essentiel de la vie du défunt tenant sur une page. Et un commentaire de la Parole. Une demi-page maximum, «je ne suis pas là pour catéchiser les gens. Et je passe voir chaque défunt à la crypte. Chaque défunt me tient à cœur».
Chaque mot compte
«Il faut compter quatre à cinq heures de travail. Tout est si fragile. Chaque mot que je rédige peut blesser profondément ou réconforter», insiste-t-elle en évoquant la gratitude d’un fils lors du décès d’un père, grand amateur de pain frais. «J’avais tourné le texte autour du pain de vie».
Il y eut cette femme qui voulait relire son texte avant la cérémonie, «ce que je ne permets jamais, les gens doivent faire confiance». Pourquoi, demande Nicoel avec délicatesse. Et la dame de lui raconter la maladresse d’un prêtre qui avait évoqué l’image de «l’agneau égorgé» pour sa maman décédée 30 ans plus tôt à l’hôpital, des suites de complications post opératoires. «Elle a fondu en larme. Elle a fait le deuil de sa maman à cet instant».
L’empathie du regard
L’empathie, celle du regard que pose Nicole sur ses interlocuteurs, sert aussi à dénouer des situations embarrassantes et à libérer des non-dits. Deux fils, non pratiquants, ne souhaitaient pas d’obsèques religieuses pour leur père. «Je voyais bien que la maman était tendue. Je lui ai posé la question. J’ai eu droit à un ›oui’ de soulagement… à la grande surprise de ses enfants qui ne s’en doutaient pas du tout. A la fin de la cérémonie, elle m’a remercié de lui avoir posé la question».
Nicole officie depuis dix ans à la célébration des funérailles. Elle décrit des moments très sensibles. Elle doit porter les familles, les guider, aussi bien dans la rencontre que pendant la cérémonie. «Cela ne me pose pas de problème. Comme je leur dis, je fais ce chemin avec eux, je les tiens jusqu’au bout, à un moment de leur vie où beaucoup sont déboussolés».
Les cas où les proches sont fâchés avec le défunt est, en revanche, beaucoup plus compliqué à gérer. «Je dois remettre un homme ou une femme à Dieu, qui garde quoi qu’il arrive sa dignité, alors que la famille me parle d’une ›charogne’. C’est une horreur!». Il faut beaucoup de douceur et de patience pour arriver à obtenir quelques images positives du défunt, si furtives soient-elles.
Le fait qu’elle soit une femme facilite la tâche, les gens se confient aussi plus facilement à une laïque, c’est un avantage, estime-t-elle. «Mais je préviens toujours quand je contacte les familles. Je n’ai jamais essuyé de refus». Elle se souvient de quelques regards condescendants au début de certaines célébrations. Vites effacés par des remerciements chaleureux.
Prendre soin des endeuillés
«Et j’oriente les cérémonies vers l’espérance par les textes, la musique ou les chants que je choisis». Cela lui permet de prendre soin des endeuillés. Nicole chante toujours le psaume, cela donne de la couleur à la cérémonie qu’elle veut lumineuse. Les familles sont touchées qu’elle s’investisse ainsi. Le chant qui fut d’ailleurs à l’origine de son engagement en Eglise, dans les années 1985 en entrant dans la chorale, et de l’appel qu’elle a reçu pour ce ministère.
Au printemps 2008, le curé lui demande d’animer la messe d’enterrement de l’abbé Raymond Schmidt, ancien vicaire épiscopal. «Il n’y avait pas de chorale. Etant chantre, je pouvais animer la célébration». Peu sûre d’elle, elle monte à l’ambon presque à reculons. Elle ressent pourtant un véritable saisissement pendant les funérailles. «Quelque chose de très fort!».
«Interpellée» dans un premier temps, Nicole reçoit pleinement sa vocation lorsque quelques mois plus tard, en ouvrant le catalogue du SEFA (Service de formation des adultes), elle tombe sur la page du ministère des funérailles. «J’ai sauté sur le téléphone pour m’inscrire à la formation».
De plus en plus de cérémonies laïques
Les temps changent, la pratique également: les pompes funèbres la sollicitent de plus en plus souvent pour des cérémonies laïques. «Nous allumons une bougie pour chaque défunt de la paroisse le 2 novembre. Une soixantaine il y a dix ans. Même pas quarante l’année passée. Tout ce que nous perdons dans le domaine du religieux se convertit en célébrations laïques. Actuellement la moitié des cérémonies». Un vrai tiraillement pour cette catholique pratiquante depuis l’enfance. «J’ai l’impression de trahir mon Seigneur. Cela m’a beaucoup travaillé».
Mais être au milieu de ceux qui ne pratiquent plus – actuellement la majorité des cas – fait peut-être partie de sa vocation. «Après tout, c’est aussi une force de ma foi d’être proche des laïcs pour les accompagner avec leur défunt». Et puis on n’est pas si loin, puisque j’adapte une cérémonie religieuse. Elle évoque des familles qui du bout des lèvres concèdent un ›Notre Père’ «parce que ça fera plaisir à la parenté».
Sa vocation l’envoie aux périphéries de la société. Elle prend toujours le temps d’aller lire un texte et dire une prière au bord de la tombe de ceux qui sont morts seuls, sans proches connus. «J’interpelle les employés des pompes funèbres présents et le jardinier du cimetière lorsqu’il se trouve à proximité. Chacun a droit à une sépulture digne, le SDF comme le jeune employé prometteur d’une banque d’affaires genevoise!». Et, non, elle n’est jamais stressée lorsqu’elle entame une célébration. «Pas de souci, je sais pour qui je travaille». (cath.ch/bh)