Jura Pastoral

Quand Gabriel Ringlet évoque l'euthanasie

Conférence

Le suicide assisté peut être un acte de légitime défense face à la souffrance !

Gabriel Ringlet Photo © SCJP

Gabriel Ringlet En conférence au Centre l'Avenir à Delémont - Photo © SCJP

Prêtre, écrivain, journaliste, Gabriel Ringlet, 73 ans, s’investit beaucoup dans l’accompagnement en fin de vie dans des services de soins palliatifs en Belgique. De passage à Delémont, à l’invitation de l’aumônerie œcuménique de l’Hôpital du Jura et du Service du cheminement de la foi du Jura pastoral, ce professeur émérite de journalisme à l’université catholique de Louvain, est venu témoigner du désespoir et de la souffrance des mourants qu’il accompagne depuis des années et livrer sa réflexion sur le suicide assisté, l’euthanasie ou la sédation.

« Si je suis bijoutier, que je me fais braquer et que je tire sur mon agresseur, la justice considèrera que j’étais en état de légitime défense. Si je suis malade, agressé par une souffrance intolérable, le suicide assisté peut être considéré comme un acte de légitime défense ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que Gabriel Ringlet ni va pas de main morte, oralement parlant, lorsqu’il évoque le thème délicat – surtout au sein de l’Eglise – de la mort « accompagnée » et prône une approche ritualisée, mais non dogmatique de l'euthanasie.

Le sujet attire : au soir du 15 novembre, un peu plus d’une centaine de personnes est rassemblée au Centre l’Avenir pour écouter les propos de ce prêtre belge connu pour sa liberté de parole et pour ses prises de position avant-gardiste sur la laïcité, l’avortement, la fécondation in vitro, la pédophilie dans l’église ou le mariage des prêtres. Prêtre depuis 1970, mais aussi poète, théologien, ou chroniqueur au quotidien français « La Croix », Gabriel Ringlet peut être considéré comme un pionnier de la foi de demain.

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Vocation plurielle

Agé de 73 ans, Gabriel Ringlet se présente en quelques phrases, presque sans accent : « depuis l’enfance j’ai exprimé l’envie de devenir journaliste. A 18 ans, mes parents m’ont inscrit à l’école de journalisme de Lille. Après des études de lettres, de philosophie puis de théologie, à la veille de mon ordination sacerdotale, mon évêque m’a proposé de collaborer au quotidien La Wallonie, un journal anticlérical, qui cherchait un jeune prêtre pour commenter les retombées du Concile Vatican II. J’y suis resté près de vingt ans, tout en étant curé de paroisse et aumônier d’hôpital. C’est probablement cet épisode journalistique qui m’a valu d’être nommé professeur de journalisme à l’Université de Louvain ».

Aujourd’hui, membre de l’Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, la vocation de Gabriel Ringlet est intimement liée à l’écriture à travers la rencontre entre l’actualité, l’Evangile et l’imaginaire : une passion qu’il partage avec la communauté du Prieuré de Malèves-Sainte-Marie, en Belgique.

Des murs infranchissables

« Ce que j’expose ici est mon regard. Avant de m’exprimer sur les personnes en fin de vie, je tiens à vous faire part de ma conviction : on ne peut pas les récupérer théologiquement. Il s’agit de reconnaître et d’accepter le fait qu’il existe de véritables situations d’impasse, des murs infranchissables, qui font qu’il est impossible d’empêcher le suicide assisté ou l’euthanasie. »

Dans son propos, Gabriel Ringlet adopte toujours une attitude de non-jugement, y compris lorsqu’il évoque son expérience d’accompagnement auprès de personnes qui cheminent vers l’euthanasie, légale depuis 2002 en Belgique, mais toujours combattue par l’Eglise catholique. Le suicide assisté est différent de l'euthanasie : c'est le « patient » lui-même qui déclenche sa mort et non un tiers.

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Le cas de Sœur Claire

Pour illustrer son point de vue, le prêtre belge évoque sa rencontre, son expérience, avec Sœur Claire, une vieille carmélite atteinte d’une grave et douloureuse ostéoporose : « Imaginez, une personne alitée et pliée en deux au point que « son menton touchait presque son pubis ». Gabriel Ringlet raconte : « Ce petit bout de femme n’en pouvait plus « Pourquoi celui que j’aime tant me laisse souffrir ainsi ? » Elle exprime son désir de recourir au suicide, mais la religieuse refuse d’en parler à sa Mère supérieure, de peur de se faire condamner. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais Dieu est là, dans ce lit, tordu par la douleur. Il souffre de cette souffrance ».

Gabriel Ringlet, comme avec toutes les personnes en fin de vie qu’il a accompagné, accorde à la religieuse « une écoute inconditionnelle » : « Je me suis assis sur son lit, je lui ai pris les mains et je lui ai dit combien elle avait de beaux yeux. Elle était rayonnante et semblait trouver la paix… et nous avons longuement parlé. Sœur Claire est décédée deux jours plus tard… naturellement ». Un moment d’émotion et de silence règne dans la salle de l’Avenir…

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L’avis des évêques français

Gabriel Ringlet revient sur un texte publié en 2015 par la Conférence des évêques de France. Dans ce document intitulé « Fin de vie : pour un engagement de solidarité et de fraternité », les évêques français recommandent de respecter quatre règles : renforcer les solidarités familiales et sociales ; renforcer les soins palliatifs ; refuser l’acharnement thérapeutique ; refuser l’acte de tuer. « Ce dernier point m’interpelle. Moi aussi je refuse « l’acte de tuer ». Pour moi, il ne peut s’agir que d’un dernier recours, d’un acte de légitime défense lorsque je suis vraiment dans l’impasse. Refuser la démarche de l’euthanasie ou du suicide assisté, c’est préconiser uniquement une démarche palliative, notamment par la sédation, c’est-à-dire endormir, ou mettre dans le coma les personnes en fin de vie jusqu’à ce que mort s’ensuive ».

Gabriel Ringlet, se défend d’être un militant pro-euthanasie. Il invoque plutôt une solidarité absolue envers les personnes en fin de vie. Refuser d’accepter cette demande ultime, c’est laisser place à l’angoisse et aux pires souffrances. Il raconte alors le cas d’une jeune femme internée, atteinte de dépression profonde, à qui l’on a refusé maintes fois ses demandes d’aide à mourir et qui s’est finalement tranché la gorge dans sa chambre d’hôpital : « Une fin horrible et un désastre absolu pour ce père qui soutenait les demandes de sa fille ».

Le prêtre belge se désole de l’absurdité de ces situations qui confrontent des familles au suicide violent ou a l’agonie interminable de leur proche.

Gabriel Ringlet est convaincu que l’on meurt plus dignement en Belgique depuis que l’euthanasie a été légalisée – à certaines conditions – en 2002 : « Il faut savoir que l’aide médicale à mourir ne concerne qu’à peine 2 % des patients. On a le devoir de tout mettre en œuvre pour que les gens soient le plus vivants possible jusqu’à la fin ».

Pour conclure, le conférencier cite Maurice Zundel : « La plupart des hommes sont portés par leur biologie au lieu de la porter. Ils meurent avant de vivre. Et c'est précisément cela la vraie mort : celle qui se situe avant la mort dans cette identification passive avec la biologie ».

Pascal Tissier
Texte et photos

www.gabrielringlet.be

Gabriel Ringlet Gabriel Ringlet, une parole vivante - Photo © SCJP

A lire...

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«Vous me coucherez nu sur la terre nue - L’accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie », aux éditions Albin Michel, 2015, ISBN 978-2226316356.

A lire...

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« Ceci est ton corps : journal d’un dénuement », aux éditions Albin Michel, 2008, ISBN 978-2-226-18295-1.

La bibliographie de Gabriel Ringlet

  • Le mythe au milieu du village : comprendre et analyser la presse locale, éd. Vie ouvrière, Bruxelles, 1981.:: publication de sa thèse de doctorat sur l’étude de l’édition de Huy de Vers l’Avenir à partir de laquelle l’auteur tire des conclusions sur la presse locale en Wallonie et dans les pays de langue française.
  • Dieu et les journalistes, Éditions Desclée de Brouwer, 1982 (ISBN 978-2718902258)
  • La Puce et les lions : le journalisme littéraire, avec Lucien Guissard, De Boeck Université, 1988 (ISBN 978-2804110406)
  • Ces chers disparus : essai sur les annonces nécrologiques dans la presse francophone, éd. Albin Michel, Paris, 1992 (ISBN 978-2226060785)
  • Dialogue et liberté dans l’Église, avec Jacques Gaillot, Desclée de Brouwer, 1995 (ISBN 978-2220037059)
  • Écrire au quotidien : pratiques du journalisme, avec Frédéric Antoine, Jean-François Dumont, Benoit Grevisse et Philippe Marion, Avo Communication, coll. « Chronique sociale », 1995
  • Éloge de la fragilité, Albin Michel, 1996 (ISBN 978-2226154408)
  • Un peu de mort sur le visage : la traversée d’une femme, Desclée de Brouwer, coll. « Littérature ouverte », 1997 (ISBN 978-2220041063)
  • L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?, éd. Albin Michel, Paris, 1998 (ISBN 2-226-10530-1) Prix de littérature religieuse3 1999
  • La résistance intérieure, RTBF Alice, coll. L’intégrale des entretiens Noms de Dieux d’Edmond Blattchen, 1999 (ISBN 978-2930182100)
  • Ma part de gravité : un itinéraire entre Évangile et actualité, éd. Albin Michel, Paris, 2002 (ISBN 978-2226134257)
  • Chemin de spiritualité : jeunes en quête de sens, avec Luc Albarello, Armand Beauduin, Guy Haarscher, Henri Madelin et Guy Rainotte, Desclée de Brouwer - Racine, 2003 (ISBN 978-2220052601)
  • Prières glanées, illustrées par Jacques Aubelle, Albin Michel, 2003 (ISBN 978-2873562687)
  • Les trois arbres, avec Danielle Oh, Mediaspaul, 2005 (ISBN 978-2712209445)
  • Et je serai pour vous un enfant laboureur... Retourner l’Évangile, Albin Michel, 2006 (ISBN 978-2226149176)
  • Ceci est ton corps : journal d’un dénuement, éditions Albin Michel, Paris, 2008 (ISBN 978-2-226-18295-1)
  • Entre toutes les femmes, avec Mannick, éditions Desclée de Brouwer, Bruxelles, 2011 (ISBN 978-2220063225)
  • Effacement de Dieu : la voie des moines-poètes, Albin Michel, 2013 (ISBN 978-2226246523)
  • Vous me coucherez nu sur la terre nue, Albin Michel, 2015 (ISBN 978-2226316356)

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