Bernard Miserez : « Pourquoi Dieu s'est fait Homme si ce monde est si merdique ? »
Pour la messe du quatrième dimanche de l’avent à la chapelle du Vorbourg, pas d'orateur externe, mais l'intervention toute personnelle de Bernard Miserez, comme un témoignage, pour livrer son éclairage à la question « Qu’est-ce que l’Homme ? ». Après les contes de Pierre Lachat, la Bible de Didier Berret et une leçon d'anatomie exposée par le cardiologue Michel Périat, le gardien du Vorbourg a pris à rebours la question initiale « Qu'est-ce que l'Homme ? » qui devient « Qui suis-je ? »
Ce qui n'était pas prévu pour cette célébration, c'est la présence de la télévision qui s'est invitée pour illustrer un sujet du 19:30 de Darius Rochebin (reportage à voir au bas de cette page)...
Ce dimanche 22 novembre le ciel est en larmes dès l’aube… et pour une bonne partie de la journée… à 9 heures, alors que les premiers pèlerins arrivent à la chapelle du Vorbourg pour participer à la messe qui doit débuter dans une heure, l’abbé Bernard Miserez termine son petit déjeuner dans sa cuisine. Un couple s’invite spontanément à sa table, puis André Chenal, l’organiste, dépose des croissants sur la table. « Il vient jouer gratuitement tous les dimanches et c’est lui qui amène les croissants, tu es trop bon André ! » lance le gardien du Vorbourg. Ils n’en parleront pas ce matin, mais Bernard et André sont des amis de longue date : au début des années 70, tous deux ont suivi la formation d’infirmier-assistant à La Chaux-de-Fonds ; Bernard dans la volée 18, André dans la volée 20 (pour la petite histoire, celui qui signe ce papier était dans la volée 22, années 75-76).
A travers la fenêtre de la cuisine, on aperçoit une guirlande lumineuse qui semble danser dans les arbres bordant la route du Vorbourg : c’est le halo des phares des voitures qui arrivent au sanctuaire. « Mais il n’y aura pas grand monde aujourd’hui », répète l’abbé. Ce n’est que lorsqu’il se rend dans le chœur de la chapelle, un quart d’heure avant la messe, qu’il constate qu’elle est déjà comble : « Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde ! » Refrain connu, répété chaque dimanche :-)
La télévision s’invite
Aujourd’hui, comme pour les trois premiers dimanches de l’avent, il n’y aura pas d’homélie. Il n’y aura pas non plus d’intervenants invités, ni de concélébrants. Bernard Miserez va assumer seul la liturgie de l’eucharistie et c’est aussi lui qui va tenter de répondre à la question « fil rouge » de ce temps de l’avent : « Qu’est que l’Homme ? ».
« Il n’y aura pas d’intervenants, mais il y a quand même un invité surprise », révèle Bernard Miserez. « Un journaliste de la télévision suisse romande sera là pour filmer la célébration et recueillir le témoignage de quelques personnes. Apparemment c’est pour illustrer un sujet sur le pape François au 19:30 de Darius Rochebin ».
A 10 heures, l’abbé Bernard Miserez salue l’assistance et détend l’atmosphère en faisant un peu d’humour : « Vous aurez remarqué qu’en plus de la couronne de l’avent et du sapin décoré en orange, il y a une crèche devant l’autel… pour l’instant, il manque l’essentiel... On doit encore attendre deux jours, du coup on ne sait toujours pas si c’est une fille ou un garçon ». Rire, dans la chapelle… « Je plaisante bien sûr. Ce petit être, né dans une étable, va être – comme tous les jours – au centre de nos prières ».
« Dieu seul est humain »,
Bernard Miserez improvise, pour lui c’est un voyage en terre connue : « Qu’est-ce que l’homme ? Qui suis-je ? Pourquoi venez-vous ici malgré les problèmes de parcage ? Pourquoi Dieu s’est fait homme si ce monde est si merdique ? Qu’est-ce qui s’est passé dans la tête de Dieu pour que malgré tous ces aléas, il ait choisi de se faire homme ? »
On entendrait une mouche voler dans la chapelle : l’assistance silencieuse est captivée et le prêtre développe son propos… « Aucune autre religion n’accepte l’idée que Dieu ait été humain » et le gardien du Vorbourg de mettre en « avent » l’écrit d’un dominicain professeur de théologie ayant enseigné à l’Institut romand de formation aux ministères (IFM) à Fribourg : « dans un excellent livre intitulé « Dieu seul est humain », le père Bernard Bro a évoqué cette humanité et récuse l’idée qu’il serait venu parce que nous avions pêché. On attend tout de Dieu. On l’accuse aussi… alors qu’il s’est fait homme pour mieux nous connaitre. Il débarque dans une étable et finit entre deux brigands : en choisissant l’échec, il n’a pas opté pour une vie facile ».
Une fleur en pénitence
« Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu. Ces mots puissants sont prononcés dès le deuxième siècle. Dieu est allé jusqu’aux limites ultimes de notre condition déchue, jusqu’à la mort même. » Pour Bernard Miserez, rien n’est plus admirable que cette relation pure, gratuite.
Puis, il évoque un rendez-vous à Paris avec l’abbé Jacques Leclercq, l’un de ses amis et confesseurs, auteur entre autres de « Le jour de l’Homme ». Il pleut sur la capitale et dans la cathédrale Notre-Dame, le prêtre est en confession dans un cube de verre et plusieurs personnes attendent encore leur tour. Finalement les deux prêtres se retrouvent avec plus d’une demi-heure de retard :
- Et bien, tu as du monde !
- Ce confessionnal de verre est comme un aquarium qui se remplit de larmes, de sperme et de sang !
- Qu’est-ce que tu fais de tout ce que tu entends ?
C’est alors que l’abbé Leclercq entraine son ami sur le parvis de la cathédrale et lui désigne les gargouilles qui « vomissent » l’eau de pluie :
- C’est ça qui nourrit la terre !
- Quel est le plus grand péché que tu as déjà entendu ?
- Je l’entends tous les jours : les gens ne s’aiment pas eux-mêmes ! A ceux-là, j’impose une pénitence particulière : ils doivent se rendre aussitôt chez un fleuriste du quartier et s’offrir une rose. La beauté de cette fleur est sa fragilité. Reconnaître sa fragilité est une façon d’apprendre à s’aimer… à aimer les autres aussi.
Bernard Miserez, s’assied un instant, médite, le silence demeure… et c’est un tonnerre d’applaudissements qui se fait entendre lorsqu’il se relève. Comme à son habitude, le gardien Vorbourg réagit par un trait d’humour en s’adressant à l’organiste : « Tu vois André, ils t’applaudissent ! »
Pascal Tissier