« L’héritage des Frères martyrs de la foi, c’est la fidélité à Dieu, à la population et à une terre »
Au soir du mercredi 3 avril, le Centre Saint-François, à Delémont, accueillait le Père Jean-Marie Lassausse, prêtre de la Mission de France, envoyé durant une quinzaine d’années en Algérie pour faire « revivre » le monastère de Tibhirine qui, faut-il le rappeler, à été le théâtre du martyre de sept moines cisterciens en 1996. Surnommé « le jardinier de Tibhirine », le Père Lassausse « cultive » le dialogue interreligieux. Au lendemain de la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le prêtre ouvrier se dit soulagé et se veut optimiste.
Depuis près d’une semaine, le Père Jean-Marie Lassausse fait une tournée à succès en Suisse romande. « Comme une rock star, il fait salle comble partout où il va témoigner », dira Hervé Farine, responsable de la formation des adultes au Service du cheminement de la foi (SCF) du Jura pastoral, dans son introduction. Et il est vrai qu’il y avait foule, mercredi soir à Delémont dans la chapelle du Centre Saint-François pour entendre le témoignage de celui que l’on surnomme « le jardinier de Tibhirine ». « Je ne suis pas une star, loin de là. Je suis un simple prêtre à la retraite de la Mission de France, un diocèse sans territoire, sans habit particulier, conduite par Mgr Hervé Giraud qui est également archevêque de Sens-Auxerre. Nous sommes des prêtres ouvriers, présents dans des entreprises, des hôpitaux, des écoles… moi-même je suis ingénieur agronome, un homme de la terre. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai accepté, à la demande de Mgr Henri Tessier, évêque d´Alger, de m’installer en 2001 dans ce monastère de l´Atlas pour succéder aux moines qui ont été assassinés en 1996. J’ai une affection particulière pour les cisterciens : ils ont les pieds dans la terre, les mains et le regard dans le ciel ».
Aujourd’hui âgé de 68 ans, ce prêtre paysan vosgien, a passé quinze ans à Tibhirine (2001-2016), une période particulière qu’il a racontée par écrit dans « N´oublions pas Tibhirine », un témoignage publié aux éditions Bayard en janvier 2018. « Aujourd’hui, c’est la Communauté du Chemin Neuf qui a pris la relève à Tibhirine. C’est un mouvement catholique à vocation œcuménique. Pour l’instant ils sont quatre, un cinquième est attendu ».
Sans langue de bois
Grand, regard d’acier, voix portante, Jean-Marie Lassausse en impose, d’autant qu’il a le sens de la formule, humour compris : « Je suis assommé par la vitalité de l’Eglise suisse, pas vous ? » ; « A la Mission de France, nous avons reçu quelques coups de crosse du pouvoir central, le Vatican, mais on est toujours là » ; « Ces moines ont vécu comme des oiseaux sur la branche de l’islam. Que deviendraient les hirondelles sans les fils électriques ? »
A une question en lien avec la place de la femme dans l’islam, Jean-Marie Lassausse reconnaît qu’il y a encore « du chemin à faire », notamment en Algérie où l’on ne voit pas de femmes dans les champs : « Mais à voir ce qui se passe actuellement chez nous avec nos prêtres, force est de constater que notre Eglise catholique romaine a encore un sacré chemin à faire ». Une diatribe soutenue spontanément par un tonnerre d’applaudissements.
Les 19 martyrs d'Algérie
Dans son exposé, Jean-Marie Lassausse est revenu sur la récente béatification, le 8 décembre dernier, des 19 religieux et religieuses, dont les sept Frères de Tibhirine, assassinés en Algérie entre 1994 et 1996. « Tous portés par des engagements divers ont donné leurs vies. Le sang des martyrs est semence des chrétiens. Ces 19 martyrs n’ont pas donné leur vie pour rien. Ils n’ont pas quitté le navire lorsqu’il commençait à tanguer, mais sont restés fidèles à Dieu, à l’Algérie et à la population locale ».
« On va porter la Parole de Dieu là où l’on ne l’entend pas ! » Jean-Marie Lassausse, confie qu’il n’a jamais vu de conversion à Tibhirine : « Le pape la bien dit à la fin du mois dernier, lors de sa visite au Maroc : pas de prosélytisme ! Nous n’en avons jamais fait en Algérie ! Il y a d’autres moyens pour rencontrer Dieu ! Nous sommes une Eglise de la rencontre, du témoignage. Il faut le dire et le répéter : nous ne sommes pas une Eglise de conversion ».
Fidèle à la terre
Homme de foi, de contact et de la terre, Jean-Marie Lassausse a été durant quinze ans « Le jardinier de Tibhirine » : il a dirigé l’exploitation du domaine agricole tout en accueillant les visiteurs et autres pèlerins : « La majorité des visiteurs sont des Algériens. Ils viennent au monastère pour rendre hommage, remercier Frère Luc, le médecin, celui qui a soigné un membre de la famille, qui a aidé à l’accouchement d’une mère de famille. C’est lui la clé de Tibhirine ».
Jean-Marie Lassausse, prêtre et paysan, ingénieur agronome, a vécu et travaillé en Tanzanie, en Egypte, au Maroc et en Algérie où, depuis 2001, il cultive la terre avec les voisins musulmans : « j’ai la chance de pouvoir exercer mon métier et mon ministère sur le même axe, c’est à dire à l’étranger et dans l’agriculture. Actuellement, je participe à la formation de jeunes aux métiers de la terre à Mostaganem, une ville côtière située à une centaine de kilomètres d’Oran ».
Pascal Tissier