« L’écriture fait partie de ma vie, j’ai toujours écrit depuis mon adolescence. En fait j’ai souhaité ce livre comme un livre humain, solidaire et poétique. A partir de mon expérience j’ai voulu analyser, réfléchir, trouver des pistes, trouver d’autres femmes, connues et inconnues, qui traversent cette épreuve. C’est toujours encourageant. On se lance dans quelque chose qu’on imagine être une nécessité mais quand les retours nous disent que oui c’est une nécessité, on se dit "je ne me suis pas trompée " ».
Alors, quand est-ce que vous nous faites un beau bébé ?
Dans le livre de la Genèse, lorsque Dieu créa l’homme et la femme, il les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous » (1 :28). Mais comment faire lorsqu’un désir d’enfant se transforme en un véritable parcours du combattant ? En Suisse, l’infertilité touche 10 à 15% de la population. Les raisons peuvent être multifactoriels. Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), l’infertilité se définie par « l’incapacité d’obtenir une grosses après 12 mois ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés ». Cependant, au-delà des statistiques, comment apprendre à vivre avec une douleur ravageuse et omniprésente lorsqu’après plusieurs mois, le rêve de maternité se transforme en cauchemar ?
« Nourrir la vie, nourrir le couple, nourrir le dialogue et pleurer. Pleurer s’il le faut »
Avec son livre Au creux de l'être. Vivre sans enfant paru aux éditions Saint-Augustin, Corinne Gossauer-Peroz a cherché à créer un espace de compréhension, de non jugement et de solidarité pour faciliter l’accompagnement des couples qui bataillent pour avoir un enfant. Cette franco-suisse qui fêtera ses 60 ans en juin prochain, a exercé pendant 26 ans plusieurs fonctions au sein de l’Armée du Salut, allant de responsable de paroisse à rédactrice mais également dans la formation en Suisse en France et en Angleterre. Depuis 2017, elle travaille au sein de l’Église catholique du canton de Vaud comme aumônière dans plusieurs EMS de la Broye vaudoise. Mariée pendant 22 ans, elle a été confrontée à cette réalité, celle qui n’est pas conforme aux rêves : ce souhait d’enfant qui ne se réalise pas et vient interférer directement et indirectement dans la sexualité, rendant le dialogue parfois compliqué.
Un livre pour casser les idéaux et briser les tabous
Avec toute une génération de femmes qui affichent désormais leur choix de ne pas vouloir d’enfant, il semble encore bien ancré dans l’imaginaire collectif, que la femme soit appelée à donner la vie. Cependant les choses sont en train d’évoluer et il y a mille manières de donner la vie. Il faut trouver un sens et ne plus se justifier. Trouver des actes qui puissent nourrir ce besoin et cette capacité que toutes les femmes ont de nourrir et donner la vie.
Pour pouvoir échanger autour de ce thème, Corinne Gossauer-Peroz a été invitée par le Service de la Pastorale des familles à venir donner une conférence le mercredi 20 mars 2024 à 20h au centre St-François à Delémont. Nous avons pu la rencontrer lors d’une interview téléphonique pour partager un peu plus autour de son livre :
Lorsque l’annonce de l’infécondité est tombée, comment avez-vous vécu ce qui s’apparente à un parcours de combattante ?
Pour ma part, il n’y a pas eu une prise en compte radicale mais une réflexion progressive, c’est un long cheminement. Je sais que j’ai eu besoin d’écrire, d’abord pour moi-même, et je pense que ça a fait partie de ma thérapie. Il me semble que la compréhension de la présence d’un nœud se fait petit à petit, au rythme des menstruations. Après des semaines de stress, la femme vit tous les mois, dans sa chair, ce qui s’apparente à une descente : la déception de ne pas porter la vie. Les semaines deviennent des mois, les mois des années et au fur et à mesure, le stress, la désillusion, la frustration du temps qui passe viennent s’immiscer dans le couple et peuvent provoquer un obstacle à la sexualité.
« C’est ma vie, alors qu’elle est la prochaine étape et comment s’y pendre »
Puis arrive le moment où la réflexion mûrit : c’est ma vie, alors qu’elle est la prochaine étape et comment s’y pendre. Et là, les questions se multiplient : quel premier pas on fait ? Est-ce que c’est le pas juste ? Allons-nous plus loin dans les traitements et quels traitements ? Envisageons-nous une adoption ? Toutes ces réflexions se sont intensifiées chez moi autour de la crise de la quarantaine. C’est à ce moment-là, et je le dis dans le livre, que j’ai posé la question au gynécologue : jusqu’à quand une femme peut être enceinte ? Cette notion d’horloge biologique est une vraie deadline pour la femme qui soulève encore une autre question : Comment je vais assumer le fait de vieillir sans enfants ?
Comme vous le faite remarquer, il y a cette notion d’horloge biologique pour les femmes, pensez-vous que la responsabilité de cette infertilité est plus souvent mise sur ces dernières ?
Je pense que c’est notre histoire, c’est culturel. Si on regarde dans la Bible, c’est souvent les femmes qui sont présentées stériles comme Sarah, Anne ou Elisabeth. D’après moi, il y a une sorte de réflexe naturel de la part des personnes : depuis la nuit des temps chacun s’attend à ce qu’une femme puisse donner la vie. Et lorsque ça ne se passe pas comme on le souhaiterait, c’est d’abord la femme qui est questionnée, qui va aller chez le gynécologue, c’est elle qui va faire les premiers examens. Et puis, au fil des consultations, le gynécologue va dire « il faudrait que vous veniez avec votre mari ». Mais c’est quand même toujours la femme qui va consulter la première et dans le meilleur des cas, le mari suivra assez rapidement.
Est-ce qu’on peut être femme sans être mère ? Comment la féminité est-elle impactée lors d’une telle épreuve ?
C’est une grande question qui mérite un travail intérieur. Bien sûr qu’il est possible d’être femme sans être mère mais je pense que cela demande de trouver sa propre posture en prenant conscience que sa féminité ne dépend pas de la progéniture que je vais mettre au monde et de comment les autres vont me considérer.
« Depuis la nuit des temps, chacun s’attend à ce qu’une femme ait un enfant »
Pour ma part, je me suis mariée à 24 ans et je ne me suis jamais considérée très maternelle. Contrairement à certains jeunes qui savent d’emblée qu’ils veulent se marier et avoir des enfants, pour moi, donner la vie n’était pas forcément le projet numéro 1. Finalement, j’ai été prise par un désir d’enfant qui m’a subjugué, qui m’a traversé comme un ouragan et qui a été un réel étonnement. L’important pour moi a été de trouver ma posture et d’assumer le fait qu’il n’y aurait pas de transmission. Mais aussi prendre conscience que ce n’est pas parce qu’on ne donne pas une transmission qu’on a moins de valeur. Il faut prendre sa place de femme et l’assumer fièrement.
Vous dites que c’est un long chemin intérieur, comment la spiritualité vous a-t-elle aidé face à cette épreuve ? Est-ce que vous avez eu le besoin de comprendre pourquoi ?
Ma spiritualité, ma vie de foi, et surtout la prière, m’ont aidé à garder le cap. J’ai pu parler à Dieu, crier ma frustration et exprimer les moments de hauts comme de bas. La prière, ce n’est pas une liste qu’on adresse au père Noël. En EMS, on me dit souvent : « je ne reçois pas les choses que je demande » et c’est vrai, on ne reçoit pas souvent les choses que l’on demande. Dieu répond d’une autre manière. La prière a été pour moi l’espace, la ressource où j’ai pu déposer mes soucis, mes espoirs et où j’ai pu essayer de comprendre, de discerner vers quoi m’amène ce chemin et cette réalité qui n’était pas celle que je souhaitais. Cela m’a permis de donner du sens, ce n’est pas la question du « pourquoi » mais plutôt du « pour quoi ». Vers quoi est-ce que ça me mène ? Vers plus de solidarité avec d’autres histoires, d’autres personnes, est-ce que ça approfondis mon empathie ? Certainement. Au fond, quels sont les fruits de cette épreuve. Dans la prière et dans la parole de Dieu, j’ai pu trouver des ressources pour sortir de ce sentiment de solitude parce qu’à un moment donné, comme dans toutes épreuves, il y a le danger de s’isoler et de se dire : « nous ne sommes pas normaux ».
Vous parlez de l’importance de sortir de la solitude, de ne pas s’isoler. Est-ce qu’il y a des lieux de soutiens pour les couples qui font face à cette épreuve en Suisse romande ?
Oui, aujourd’hui il y a des associations qui accompagnent les démarches de procréation. Il y a aussi des groupes qui se rendent disponibles pour accompagner les couples dans cette épreuve de l’infertilité ou celle d’une fausse-couche. Pour ma part, ma solitude a été amplifiée par ma situation professionnelle qui nous poussait à déménager tous les 2-4 ans en Suisse, en France et en Angleterre. Nous n’avions donc pas un cercle d’amis proches pour nous épauler. Ce qui m’a aidé, c’est des années après, entre 40 et 50 ans, pouvoir parler de la sexualité avec des femmes plus âgées. Aujourd’hui, tout est accessible sur les réseaux sociaux. Mais quand il y a une blessure profonde au niveau de la sexualité, qui ne fonctionne pas comme on nous fait croire que tout doit fonctionner, avec qui peut-on en parler ? Vers qui se tourner ? Ne serait-ce que d’avoir une personne avec laquelle il est possible de poser des mots sur ses propres déconvenues et difficultés sur la sexualité peut sortir d’une profonde solitude. Et au fond, c’est ça le but de mon livre, dire : vous n’êtes pas seuls et vous êtes normaux.
Aujourd’hui, si vous regardez derrière vous, comment vous sentez vous face à cette épreuve ? Est-il possible d’être plus apaisée avec le temps ?
Aujourd’hui je me sens apaisée. J’ai eu une conférence dernièrement avec la Pastorale des familles de Lausanne et c’était très intéressant. Des couples sont venus me voir en me disant : « ça nous fait tellement de bien de voir une personne qui assume cette situation ». C’était bienfaisant d’entendre cela. Oui, assumer mon parcours c’est avoir du recul et accepter que c’est ma vie. Je vais avoir 60 ans en juin, et au fil des années et de mon cheminement, j’ai découvert qu’il y avait d’autres possibilités de donner et nourrir la vie et que toutes ces façons sont justes. J’ai fait, et j’en parle dans le livre, l’exercice de La lettre à l’enfant imaginaire. C’était pour moi un exercice unique que je n’avais jamais fait. J’ai pu réaliser que pendant des années, et aujourd’hui encore parfois, j’imaginais toujours mon enfant comme un nouveau-né ou un enfant de quelques mois. C’est à la cinquantaine que j’ai pris conscience que je pourrais avoir des enfants de 25 ans. Aujourd’hui, des amies qui ont mon âge ont des enfants trentenaires et sont ou vont être grand-mères. Parfois, quand je vois leur complicité et la joie des petits-enfants avec lesquels on veut aussi transmettre et créer des souvenirs, je prends conscience que ça reste une réalité qui n’est pas la mienne… Je dirais que ça titille surtout à Noël, plus encore qu’à la Fête des mères, mais ça fait partie du deuil et des choses qui n’ont pas pris place.
« Je pense que c’était juste et ma vie aujourd’hui, je la regarde telle qu’elle est, avec beaucoup de reconnaissance »
Avec le chemin parcouru et avec les milles manières qui m’ont été donné, j’ai cherché, creusé, approfondi les moyens de nourrir la vie. Au fond, j’aurais l’audace de dire que cette épreuve m’a gardé humaine. C’est un peu ambitieux de dire ça comme ça, mais elle m’a mise en solidarité avec toutes les formes d’épreuves et toutes les larmes qu’on peut verser. En fait, cette épreuve fait tomber les masques et je pense qu’elle a amplifié mon authenticité dans les rencontres.
Que souhaiteriez-vous dire aux femmes, aux couples, qui ne peuvent pas avoir d’enfant ?
Lors de cette conférence donnée à Lausanne, j’ai pu sentir cette souffrance très actuelle de plusieurs couples qui sont dans ces démarches de procréation, qui vivent des joies, des attentes et des échecs. Je leur dirais ces deux phrases. Pour commencer : vous êtes normaux et nous n’êtes pas seuls. Parce qu’on nous fait tellement croire qu’une fois au lit, tout doit fonctionner. Ensuite, je dirais : prenez soin de votre amour et nourrissez-le. Il va perdre des plumes dans cette épreuve. Il y a des tensions, des espoirs et cette envie qui nous traverse toutes et tous la tête du « et si j’allais voir ailleurs, est-ce que ça marcherait ? ». Alors nourrissez l’amour, prenez le temps pour l’amour, parlez ensemble, allez marcher, faites du sport. Allez faire ce qui vous convient et ce qui convient à votre couple. Trouvez des moyens de vivre de belles choses ensemble qui décentre de ce seul focus de tomber enceinte. Demandez-vous ce qui vous ferait du bien et faites-le !
« Lâchons cette course au jours d’ovulation parce que ça devient infernal ! »
Parfois, ce cheminement intérieur demande de prendre du recul par rapport à des situations familiales où les copains annoncent des grossesses. Il ne faut pas avoir peur de le dire. J’entends des couples qui ont de la peine avec ça. Aller à des baptêmes devient un moment insoutenable. Il ne faut pas avoir peur de verbaliser et prendre le risque de l’incompréhension. Il est essentiel de ne pas retenir ses émotions et de mettre des mots sur ce qui est ressenti.
Et finalement je dirais qu’il ne faut pas ajouter de la pression à la pression. Nous sommes très forts pour ça. Il me paraît important de se demander à quoi est appelé notre couple. Peut-être que notre couple, notre relation, doivent se faire avec autre chose qu’un enfant et que nous sommes appelés à donner une autre transmission ? Il ne faut pas seulement se focaliser sur le fait que la transmission signifie avoir un enfant. Il y a mille manières de donner et nourrir la vie !