Un article de Nicolas Senèze dans "La Croix" du 13 mars
En quatre ans, l’homme Jorge Mario Bergoglio est resté le même qu’aux premiers jours. Et si la plupart des thèmes du pontificat sont ceux de l’ancien archevêque de Buenos Aires, les proches du pape notent qu’il a donné à son ministère une ampleur universelle.
Le pape, décrit comme discret et casanier, fait preuve d’assurance au milieu de la foule. / Vincenzo Pinto/AFP
Ce 13 mars 2013, c’est un pape d’abord un peu gauche qui apparaît au balcon de la basilique Saint-Pierre. Presque étonné d’être là, alors que les fanfares entament les hymnes. Puis, peu à peu, au fil de son discours, François prend plus d’assurance, jusqu’à ce geste surprenant de l’évêque de Rome incliné pour recevoir la bénédiction de son peuple avant d’échanger, tout sourire, avec son nouveau diocèse.
À 11 000 km de là, en Argentine, les collaborateurs du cardinal Bergoglio n’en reviennent pas de voir leur ancien archevêque si souriant et détendu. «À Buenos Aires, il était plutôt austère, renfermé. Il ne souriait quasiment pas, raconte le journaliste suisse Arnaud Bédat, auteur de François l’Argentin (1). Une fois devenu pape, il s’est transformé, comme touché par la grâce!»
« Pour moi, c’est vraiment la grâce de l’Esprit Saint. C’est un protestant qui vous le dit ! », sourit Marcelo Figueroa, ami de Bergoglio avec lequel il a commencé à collaborer comme directeur de la Société biblique argentine. « Mais fondamentalement, il est resté le même : les racines de sa vocation, de son esprit, de son âme, sont toujours là », poursuit celui qui vient de prendre la tête de l’édition argentine de L’Osservatore Romano.
De Buenos Aires au Vatican
Ceux qui le connaissent bien retrouvent d’ailleurs chez celui qui prend longuement le temps, lors des audiences, de la rencontre avec les pauvres, les petits et les malades, la même attention aux autres qu’avait Bergoglio à Buenos Aires. « On retrouve chez lui la même simplicité », souligne Marcelo Figueroa.
La vie simple du pape dans le petit appartement de la Maison Sainte-Marthe en témoigne. Un lieu dont il sort rarement. « Comme à Buenos Aires, il reste assez casanier : il n’est encore jamais allé se promener dans les jardins du Vatican, pourtant fermés l’après-midi pour son usage », relève un de ses collaborateurs qui l’a bien connu avant son élection. Sans parler du palais de Castel Gandolfo, transformé en musée.
« Jorge Mario Bergoglio détestait voyager », explique Arnaud Bédat qui rappelle que, quand l’ancien provincial des jésuites est allé à Francfort pour sa thèse de doctorat, ce nostalgique passait de longs moments à regarder les avions décoller vers l’Argentine. « Ce vrai Porteño vit depuis quatre ans à Rome sans être rentré et, s’il confie à des proches avoir le mal du pays, il n’en laisse rien paraître. »
Un pape disponible auprès des journalistes
Comme porté par sa mission, le pape François s’est même pris au jeu des voyages, démontrant une vitalité inattendue. « En Corée, je m’attendais à le voir prendre un peu de repos mais, malgré la longueur du voyage, le décalage horaire et le programme chargé, il est resté très actif, présent, plein d’enthousiasme, se souvient le P. Federico Lombardi, alors son porte-parole. Je lui en ai fait la remarque, il m’a répondu : “C’est la grâce d’état”.Et c’est certainement cela : quand le Seigneur donne une mission, il donne aussi son aide pour l’effectuer. »
L’ancien directeur de la Salle de presse du Saint-Siège note aussi combien François s’est ouvert aux journalistes. « En Argentine, il était d’une grande discrétion et, sauf un livre d’entretiens, a peu cultivé la relation avec les journalistes, raconte-t-il. On pensait qu’il continuerait sur cette ligne : cela a été tout le contraire ! »
Pas un mois, aujourd’hui, sans une interview dans la presse. « Pour moi, la grande révélation a été le retour de Corée avec sa conférence de presse d’une heure et demie. Sa disponibilité, son ouverture, ont beaucoup fait pour la sympathie des journalistes à son égard », continue le P. Lombardi qui relève néanmoins que « sa présence directe, sa façon très concrète de s’exprimer, son désir de dialoguer, étaient déjà très présents dans sa manière de prêcher en Argentine ».
Jorge Mario Bergoglio, fidèle à lui même
De fait, la manière de fonctionner de François n’a pas beaucoup changé. « Il est devenu pape à 77 ans : à cet âge, on ne change plus beaucoup », note Marcelo Figueroa. Ceux qui travaillent avec lui constatent d’ailleurs la même rapidité et la même détermination dans la prise de décision. « Un mois après son élection, il a constitué autour de lui le conseil des cardinaux, se souvient le P. Lombardi.”Je veux donner un signe concret que j’agis dans la direction qu’on attend de moi”, disait-il. Cette manière d’agir, d’initier des processus, ne l’a pas quitté. »
Et sur le fond aussi, François a peu changé. Que ce soit l’attention au « peuple » dans les premiers mots du pontificat, les périphéries, la mondanité, les migrants, la culture du déchet, la miséricorde… tous les grands mots du pontificat étaient déjà fortement présents dans les écrits de l’archevêque de Buenos Aires.
À l’exception peut-être de l’écologie, qui n’apparaît que dans le document d’Aparecida, que le cardinal Bergoglio avait coordonné. « J’ai du mal à dire comment il s’est emparé de ce thème, reconnaît un observateur de la question à la Curie. Peut-être que le lien à la Création de François d’Assise, dont il a pris le nom, l’a fait réfléchir. »
« C’est aujourd’hui un pape écouté du monde »
Sans doute s’est-il aussi laissé influencer par son prédécesseur, Benoît XVI ayant beaucoup avancé sur le sujet. « Mais il y a apporté sa perspective latino-américaine, en faisant la synthèse entre la crise écologique et la crise sociale », souligne le P. Lombardi.
Pour le jésuite italien, il ne faudrait toutefois plus lire François par le seul prisme latino-américain. « Si, en arrivant de Buenos Aires, il a commencé par faire ce qu’il faisait là-bas, il a, depuis, rencontré des chefs d’État, des évêques du monde entier, les responsables des autres religions. Il a voyagé sur des continents qu’il ne connaissait pas, insiste-t-il.
Au fur et à mesure, son expérience et son regard se sont élargis à d’autres perspectives et problématiques qu’il a intégrées dans une synthèse assez personnelle. Son ministère est devenu universel : c’est aujourd’hui un pape écouté du monde. Un leader mondial. »
Un homme libre
« Son influence dépasse largement le monde catholique, relève Marcelo Figueroa. Les responsables des autres religions l’écoutent quand il les appelle à travailler ensemble sur les grandes questions du moment, pour vivre la miséricorde, construire des ponts, accueillir les réfugiés. Dans un monde qui se ferme, c’est le seul responsable mondial à ouvrir les bras. C’est peut-être là sa grande caractéristique : sa liberté. François est un homme libre. »
En quatre années, François a ainsi appris à « faire le pape », comme on dit en Italie. « Ses amis argentins relèvent qu’il y a même pris goût, constate Arnaud Bédat. Il l’a d’ailleurs confié à certains : “J’ai dû être à Rome pour qu’on m’écoute enfin”. »
Nicolas Senèze (à Rome)