Sans peur ! Des signes divins et humains
Chères sœurs et chers frères,
Parfois, je suis vraiment angoissé ! Les informations effrayantes provenant du monde entier pleuvent sans discontinuer : décapitations devant les caméras, naufragés engloutis dans les flots, églises incendiées, épidémies, famine et mort. Parfois, il y a vraiment de quoi avoir peur. Face à cela, nous restons en retrait, horrifiés, muets et impuissants. Le doute surgit : Est-ce que c’est cela, le monde que Dieu veut ?
Nous appartenons tous à ce monde. Nous profitons du vaste monde, surtout au niveau économique et culturel, et pourtant, nous avons besoin de prendre nos distances par rapport à lui. Nous nous considérons comme démocratiques et pacifiques, travailleurs et précis, pleins d’assurance et autonomes. Pourtant, nous dépendons du monde qui nous entoure. Voilà pourquoi ce qui s’y passe fait aussi monter en nous un sentiment d’inquiétude.
Et l’Église ? Autrefois, l’Église était pour de nombreuses personnes un appui et une source de sécurité dans les périodes de désarroi. Aujourd’hui, je fais un autre type d’expérience : Pour certains, l’Église et la religion ne sont plus du tout des points de référence. Pour d’autres, il est douloureux d’accepter que l’Église change, elle aussi. Des habitudes de notre Église, auxquelles nous étions attachés, disparaissent. On crée du neuf. Parfois, les structures sont bien plus résistantes que les con-tenus. L’intérêt pour la vie paroissiale est plutôt restreint. L’Église manque de personnel. Beaucoup appellent des changements, mais dans des directions différentes. Nous nous rendons compte que, dans de nombreux domaines, nous sommes impuissants. Le doute surgit : Est-ce que c’est cela, l’Église que Dieu veut ?
Le monde est en feu. L’Église est en ébullition.
Lamenace plane.
Nous nous retrouverons encore et toujours dans des situations menaçantes. Parfois, elles ne nous touchent que de loin, parfois elles nous atteignent au cœur de notre existence. Nous nous demandons alors à juste titre : Est-ce que c’est cela, le monde que Dieu veut ? Est-ce que c’est cela, l’Église que Dieu veut ?
Une réponse précipitée ne saurait convenir à des interrogations aussi fondamentales. Elle ne respecterait pas notre qualité d’êtres humains qui pensent, qui éprouvent des sentiments et qui croient. La réponse ne peut pas non plus se contenter de nous consoler en nous renvoyant au monde de l’au-delà. Ce serait mépriser le cadeau de la création que Dieu nous fait. La réponse ne doit pas non plus s’empêtrer dans des dogmes théologiques. Ce serait ignorer que notre foi doit démontrer sa fiabilité dans ce qui fait notre quotidien.
A quoi la réponse à nos questions pourrait-elle donc ressembler ?
Dans la lecture de ce jour, nous avons également comme point de départ une situation menaçante. Toute vie sur la terre a été détruite par le déluge. Lorsque Noé retrouve la terre ferme, une question se pose à lui : Est-ce que c’est cela, le monde que Dieu veut ? A quoi le monde que Dieu veut faire exister, ressemble-t-il ?
Je vous propose une triple réponse à partir de ce texte biblique.
1. Dieu prend lui-même l’engagement d’un comportement solidaire avec tous les êtres vivants.
2. Dieu établit l’arc-en-ciel dans les cieux pour se souvenir de son alliance.
3. L’homme apporte lui aussi sa contribution au changement.
Que signifient ces trois réponses pour nous aujourd’hui ? Elles touchent à la cohabitation de Dieu, de l’être humain et du monde. J’y trouve du courage pour vivre notre situation présente et de la confiance pour l’avenir.
1. Assez pour tous
En premier lieu, Dieu prend l’engagement d’un comportement solidaire avec tous les êtres vivants : Il conclut une alliance avec Noé. Littéralement, Dieu « met » solennellement l’alliance « debout ». Dieu relie le monde avec lui ; il le lie à lui. Dieu et le monde vont ensemble. L’alliance de Dieu ne pose aucune condition et n’exige aucune contrepartie. Et Noé ? Noé n’a même pas besoin de répondre. Dieu assume lui-même de manière indéfectible son alliance. L’homme peut ignorer cette alliance. Il peut la mettre en doute. Mais il ne peut pas amener Dieu à la rompre. Quelle promesse extraordinaire ! Dieu est lié pour toujours avec tout ce qui a « souffle de vie ». La terre reste, en dépit de toute violence, la demeure que Dieu veut pour nous.
Cela ne rend pas moins graves les nouvelles effrayantes de ces derniers mois. Mais la promesse de Dieu demeure. Dieu croit au monde. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais si je sais que quelqu’un croit en moi, la peur n’en a plus pour longtemps. La peur ferme. La peur rabaisse. Mais prendre au sérieux la promesse de Dieu signifie que la peur ne peut pas nous écraser, même dans les situations menaçantes. Car Dieu est fidèle à son alliance.
Son alliance vaut pour tous les êtres vivants. Et il y en a beaucoup, vraiment beaucoup. Il y en a certains dont on se passerait volontiers. Certains qui pensent autrement que nous. Certains qui agissent autrement que nous. TOUS ! Nous formons une sorte de colocation dans la maison de Dieu. Dans les colocations, l’atmosphère est parfois tendue. Pourtant tous sont finalement dans le même bateau. Il n’y a donc rien de plus évident que de nous engager pour ceux qui vont moins bien. C’est exactement ce que fait l’Action de Carême, notamment grâce à votre soutien généreux. Cette année, la campagne de l’Action de Carême aborde les sujets des changements climatiques et du droit à l’alimentation. Elle s’intitule « Moins pour nous, assez pour tous ».
Assez pour tous : Voilà le monde que Dieu veut ! Voilà l’Église que Dieu veut !
2. Vivre sans peur
En deuxième lieu, Dieu lui-même s’érige un symbole de l’alliance. C’est l’arc-en-ciel. Après le déluge, Dieu possède désormais une vision du monde sans illusion. Il est, en quelque sorte, devenu réaliste. Il connaît la violence mortelle avec laquelle les hommes se menacent et s’anéantissent les uns les autres. Mais ce monde-là est son royaume. C’est à ce monde-là qu’il a donné son oui inconditionnel. La terre et le ciel sont reliés l’un à l’autre dans toutes leurs couleurs et dans toutes leurs facettes. Dieu a mis fin à son affrontement violent avec le monde. Si, au vu du mal présent dans le monde, il en venait à nouveau à vouloir l’anéantir par un déluge, à la manière d’un guerrier, son arc brillerait dans le ciel. Son arc-en-ciel lui rappellerait, à lui et à tous les autres, l’alliance qui demeure.
Puisque Dieu établit un signe pour se souvenir de l’alliance, pourquoi n’en serait-il pas de même pour nous ? Quand un million et demi de personnes descendent dans la rue et protestent contre la violence, c’est un signe fort. Les paroisses qui font une grande fête contre la peur de l’étranger, posent des signes aussi forts que celui-là. Unies à des personnes de toutes les nations, elles confessent leur foi en notre Dieu qui est le Dieu de tous les hommes, elles prient pour la paix, elles partagent leur espérance. Pour moi, c’est aussi un signe fort de voir, dans de nombreuses paroisses du diocèse, comment la collaboration grandit avec les voisins, avec les autres, avec les missions. Prendre soin les uns des autres, devenir sensibles aux singularités des uns et des autres et trouver un langage de prière commun, sont pour nous des enrichissements. Nous, chrétiens, nous n’avons pas peur, car nous vivons tous sous le même ciel. C’est cela, le monde sans crainte que Dieu veut ; c’est cela, l’Église courageuse et sans peur que Dieu veut.
3. Confiance en l’avenir
En troisième lieu : Nous, les êtres humains, nous apportons notre contribution au changement. L’alliance n’exige aucune contrepartie. Noé ne doit rien dire à propos de l’alliance de Dieu. Pourtant, l’être humain doit apporter une contribution à la persistance de la création, de sa demeure. Pour assurer cette mission, Noé et ses descendants reçoivent la bénédiction de Dieu. Les paroles de Jésus dans l’Évangile rappellent justement cette mission : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». Ce monde est le royaume de Dieu. Pour qu’il puisse se développer comme Dieu se l’était représenté, l’homme doit changer d’état d’esprit. Il doit se convertir. Il peut prendre en main lui-même cette conversion parce que la promesse de Dieu est sûre et parce que Jésus Christ lui indique le chemin par ses paroles et par ses actes. La situation actuelle dans l’Église et dans le monde, n’appelle-t-elle pas précisément à la conversion ? Qu’est-ce qui pourrait naître, si dans l’Église, au lieu de la peur des changements, c’étaient le courage, la confiance et la joie de la nouveauté qui se multipliaient ? Qu’est-ce que qui se passerait, si nous abandonnions des coutumes désuètes pour faire place à quelque chose de plus grand, à une nouvelle collaboration avec les voisins, à un nouveau départ pour l’avenir ? Est-ce que cela ne pourrait pas devenir l’Église que Dieu veut ?
Pour que notre lieu de vie « Église » reste habitable, il est nécessaire que tout le monde participe à ce travail d’équipe. Le soutien mutuel, une notion de la communauté qui va au-delà de son pré carré, un regard confiant vers l’avenir : Voilà des signes de l’Église que Dieu veut. La promesse de Dieu en laquelle nous pouvons avoir toute confiance, métamorphose notre peur en courage de poursuivre ensemble nos efforts. Chers paroissiennes et paroissiens, je vous remercie de tout cœur pour votre engagement. N’ayez pas peur !
Tous mes bons vœux et ma bénédiction vous accompagnent.
Bien à vous !
+Félix Gmür
Evêque de Bâle