Lettre pastorale de Mgr Felix Gmür
Qui sommes-nous ?
Le sel de la terre, la lumière du monde !
Lettre pastorale pour le 9 février 2014
+ Felix Gmür, évêque de Bâle
Bien chers frères et sœurs dans le Christ,
« Vous êtes le sel de la terre », nous proclame Jésus. Encore plus : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,13.14). Alors entre nous et la terre, entre nous et le monde, n’y-a-il pas là une relation forte et spéciale ? Comment se positionne le christianisme par rapport au monde ? Une chose est d’emblée claire : la fuite du monde n’est pas une recette pour les chrétiens. Ils n’ont pas à fuir le monde pour aller se réfugier dans un univers séparé à part, pour construire une communauté détachée de la société. Nous ne sommes pas, comme chrétiens et chrétiennes, membres à part de ce monde, mais nous en faisons partie intégrante : sel de la terre, lumière du monde.
La terre d’aujourd’hui est notre lieu où nous sommes appelés à devenir sel de la terre et à donner goût au monde par notre engagement. Nous n’avons pas à cacher notre identité, mais à la rendre visible dans les rues et sur les places. En fait Jésus dit: « De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre père qui est aux cieux » (Mt 5,16). Jésus veut que la conviction de ses disciples soit ainsi perçue. La lumière de Dieu peut jaillir à travers notre agir. C’est alors que le monde remarquera ce que nous croyons, s’apercevra de ce que nous espérons, et verra ce que nous aimons.
Le monde et les hommes nous concernent, parce qu’ils sont sauvés par Jésus-Christ. Nous ne nous situons pas en dehors du monde, mais nous l’éclairons de l’intérieur. C’est alors que l’engagement des chrétiens actifs donne un rayonnement de l’évangile autour d’eux, comme l’a dit une fois le cardinal Martini d’heureuse mémoire. On dit dans la vision du plan pastoral de notre diocèse de Bâle : nous proposons la foi, et comme Eglise, nous rayonnons de l’évangile.
Comment cela peut-il se passer ? Le prophète Isaïe s’exprime là-dessus concrètement : « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable » (Is 58,7). L’Eglise va donc aux périphéries de la société, nous rappelle à juste titre le pape François. Et le prophète Isaïe de le souligner davantage : « Si tu fais disparaître de ton pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante, si tu donnes de bon cœur à celui qui a faim, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi » (Isaïe 58,9b-10b). Une foi qui est ainsi vécue, éclaire notre monde.
Le message du prophète Isaïe va encore plus loin. Il me prend chaque fois à contre-pied, si bien que je dois lire une deuxième fois. L’homme appelle Dieu. Et Dieu répond : « Me voici ». Nous venons de l’entendre dans la lecture : « Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : Me voici » (Is 58,9). Dieu a jadis appelé Adam : « Où es-tu ? » (Gn 3,9) Avec Jésus- Christ, l’Emmanuel – ce qui signifie « Dieu est avec nous » –, c’est dire que Dieu répond aux appels des hommes : « Me voici ». Cette attention affectueuse de Dieu à notre égard est le fondement de notre vie chrétienne.
Nous sommes à notre tour invités à répondre à l’attitude de Dieu avec la même parole : « Me voici ». Comme évêque, j’entends toujours cette parole dans les moments très importants de certaines personnes et de notre diocèse. Quiconque est appelé à servir l’Eglise comme laïc engagé ou institué, comme diacre et comme prêtre, est appelé de cette façon. Il s’avance vers moi et répond : « Me voici ». C’est toujours un moment rempli d’émotion pour moi.
Chrétiens et chrétiennes, sel de la terre, lumière du monde, où êtes-vous ? Où nous engageons-nous ? Où donnons-nous du goût à notre société par nos actions ? Où laissons-nous la lumière de Dieu rayonner dans le monde ? Hommes et femmes dans le service ecclésial de notre diocèse, responsables des corporations ecclésiastiques, bénévoles dans les différentes organi- sations et associations, chrétiens migrants appartenant aux différentes missions, baptisés et confirmés en famille et sur notre lieu de travail : nous tous sommes interpellés. L’appel à vivre notre foi chrétienne de façon visible retentit : vivre notre confiance en Dieu, nous mettre au service des hommes et en particulier des marginalisés, soutenir nos prochains et créer des communautés avec ceux et celles qui cherchent Dieu.
Aujourd’hui cet appel à suivre le Christ se vit autrement qu’il y a quarante ans. L’ambiance du renouveau s’est largement dissipée. Notre entourage observe souvent d’un air soupçonneux la conception de notre vie chrétienne, qui n’est qu’une manière de vivre parmi tant d’autres. Mais l’appel demeure le même. Le monde, lui, reste, même s’il change tout le temps. Les hommes au centre et dans les périphéries de la société sont toujours là. C’est là où est notre lieu. Qui d’entre nous est prêt d’être là présent pour dire : « Me voici » ?
Dans ma première lettre pastorale que j’avais rédigée en lien avec la cathédrale de Soleure alors en rénovation, le thème principal était « le chantier de l’Eglise ». Cela demeure incontournable : comme évêque, je dois travailler avec fermeté au renouvellement de la vie de l’Eglise diocésaine, dans un nouveau contexte. Le pape François nous rappelle une attitude missionnaire. Il écrit : « J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto- préservation » (Evangelii Gaudium, n° 27). Comme chrétien et comme évêque, je propose avec conviction la foi, parce que la lumière de Dieu jaillit dans la vie des hommes. La marche ne va en avant – j’en suis convaincu – que lorsque vous aussi, qui m’écoutez en ce moment, ici et là, prenez position sur l’un ou l’autre point en disant : « Me voici ».
L’année passée, il me tenait à cœur, dans ma lettre pastorale, de renforcer l’identité de nos communautés chrétiennes. Notre société propage largement la culture du développement de l’individualisme. Les personnes qui s’engagent pour la communauté chrétienne, deviennent alors un phénomène marginal. Beaucoup d’évènements publics et privés sont aujourd’hui organisés le dimanche matin. Chaque fois je réponds alors : « Merci beaucoup, mais je ne peux pas venir puisque je célèbre la messe le dimanche matin ». Des communautés qui deviennent plus petites ne doivent pas forcément devenir plus faibles. Le plus déterminant pour le rayonnement n’est pas la grandeur, mais bien l’intensité avec laquelle les hommes apportent leurs talents et leurs compétences, et aussi l’amour par lequel ils sont capables d’accueillir réciproquement leurs faiblesses et leurs blessures (cf. 1 Co 2,1-5).
Pour une Eglise conforme aux exigences de l’évangile, le plus important n’est pas l’organisation parfaite de notre diocèse. Ce n’est pas l’engagement des agents pastoraux impeccables, ce ne sont pas des prestations ecclésiales qui seraient au-dessus de toute critique possible, et même pas – comme le souligne le pape François – l’observation parfaite de toutes les normes ecclésiales et la confession de foi convaincue sur les lèvres. Tout cela est bon et important. Comme évêque, je dois avoir un œil là-dessus et agir là où ma responsabilité l’exige. Le plus décisif pour la vie chrétienne dans notre diocèse, c’est notre présence, la vôtre et la mienne, qui dit : Me voici. Nous voici lumière du monde.
Comme communauté, nous devons encore apprendre. Il faut apprendre à cheminer ensemble, avec les forces et les faiblesses, les sympathies et les antipathies de nos positions différentes, qui ouvrent des chemins où naît un esprit nouveau et où jaillit la force de Dieu.
Chers frères et sœurs, je désire que dans notre diocèse d’ici deux ans toutes les unités pastorales soient érigées. Elles sont un instrument pour une Eglise à la hauteur de notre temps, laquelle puisse correspondre à la situation actuelle de notre société. Nous tous, comme Eglise, sommes la lumière pour le monde d’aujourd’hui et pas d’hier. C’est pourquoi nous avons besoin des instruments de travail qui sont utiles pour aujourd’hui et non pas pour hier. Quand cet instrument de travail sera disponible pour l’ensemble de notre diocèse, nous pourrons voir de manière plus clairvoyante les chemins nouveaux que l’Esprit de Dieu nous indique pour demain.
Puis-je vous encourager à écouter cet appel et à y répondre: « Me voici » ? Pour ce faire, nous avons la certitude du prophète : « Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : Me voici ». Le Seigneur nous accompagne sur le chemin de l’avenir et nous fortifie. Jésus nous donne le courage et nous dit:
« Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ».
Je vous souhaite à toutes et à tous assurance et confiance en Dieu.
votre
+ Félix Gmür
évêque de Bâle